Écrits spirituels sur l’intempérance et l’impureté

Extraits des

Réflexions chrétiennes

du bienheureux Claude de la Colombière

Réflexion chrétienne n°34 :
De l’intempérance

On se plaint tous les jours de ce que les hommes rapportent tout au manger, qu’ils ne travaillent que pour cela, qu’ils en font leur dernière fin. Ce sont des gens dont le corps n’est de nul usage à l’esprit ; et, au lieu que les hommes raisonnables se plaignent d’avoir un corps qui fait de la peine à l’esprit, ceux-ci voudraient être destitués de cette âme spirituelle qui trouble, par ses lumières, les plaisirs de bête qu’ils recherchent. Les hommes raisonnables mangent pour fortifier le corps, de peur que sa faiblesse ne se communique même à l’esprit ; ceux-ci mangent jusqu’à étouffer l’esprit et ruiner le corps. Ils ne mangent que pour manger. Vous ne voudriez pas nourrir une bête qui ne ferait autre chose que manger ; vous nourrissez un cheval pour le monter, un oiseau pour avoir le plaisir de l’entendre chanter ; et vous ne nourrissez le corps que pour lui donner le plaisir brutal de se remplir de vin et de viandes ! On ne mange pas pour vivre, puisque rien n’est si contraire à la santé que ces excès, ces ragoûts et cette variété de viandes. Rien de si propre à prolonger la vie et la rendre exempte de maladies, qu’une table frugale et réglée.

Il y a peu de gens qui ne meurent de trop manger. Debitores sumus non carni, ut secundum carnem vivamus. Si enim secundum carnem vixeritis, moriemini. Nous sommes débiteurs, mais non point envers la chair pour devoir vivre selon la chair. Car si vous vivez selon la chair, vous mourrez (Rom. 8, 12-13). Est-ce que nous sommes les esclaves de notre corps et que tout doit être sacrifié à son avidité insatiable : le bien, l’honneur, la vie même ? Qui est l’homme de bon sens ou tant soit peu raisonnable qui ne dût beaucoup mieux aimer, s’il était possible, prendre sa nourriture sans ressentir cette volupté flatteuse et importune, comme nous prenons l’air que nous respirons ? Cet aliment de vie, que nous recevons et renvoyons incessamment par les narines et par la bouche, n’a ni saveur, ni odeur ; et toutefois nous ne saurions nous en passer un seul moment, tant il nous est nécessaire ; au lieu que nous nous abstenons quelquefois assez longtemps du boire et du manger. Combien serions-nous plus heureux, si nous prenions ainsi les aliments terrestres qui nous sont donnés pour remédier à notre faim et à notre soif, sans les goûter, ni ressentir cette suavité trompeuse qui est pour nous une si dangereuse tentation ? Comme nous ne prenons d’air, pour la respiration, qu’autant qu’il en faut pour ne mourir pas, nous ne prendrions aussi de nourriture que ce qui suffit à la nature, et jamais avec excès.

On doit prendre les aliments comme on ferait des remèdes ; la nécessité doit régler notre inclination à nous délivrer des incommodités de la faim, et non pas la concupiscence qui nous dresse des embûches dans le plaisir, qui suit, comme un serviteur son maître, ce soulagement que nous cherchons dans le boire et le manger. Ainsi, nous faisons pour ce seul plaisir ce que nous devrions faire pour la seule nécessité ; ce qui est d’autant plus dangereux que le plaisir n’a pas les mêmes bornes que la nécessité, puisque ordinairement, où il y a assez pour le nécessaire, il y a peu pour la volupté. D’où vient que nous cherchons à nous tromper, nous persuadant que nous donnons à notre santé ce que nous donnons à la passion de la volupté.

La volupté est l’objet de la concupiscence, de la nature et de la grâce. La concupiscence la regarde comme sa fin, la nature comme son appui, la grâce comme son ennemie. La cupidité est le dérèglement de la nature, la portant à rechercher le plaisir comme sa fin ; en quoi consiste le vice de l’intempérance. La nécessité est la règle de la nature, parce qu’elle lui fait prendre du plaisir ce qu’il lui faut pour sa subsistance, et retranche le superflu : et en cela consiste la vertu de la tempérance et de la sobriété. Mais la charité est la perfection de la nature, et nous porte à retrancher même, autant qu’il est possible, le plaisir que la nécessité rend légitime : et c’est où tend le travail de la mortification.

Il est étrange que l’homme, en ce point, soit sujet à une passion dont les bêtes sont exemptes. Elles sont colères, lascives, etc., mais elles ne font jamais d’excès au boire ni au manger.

Les viandes les plus simples sont les plus saines : la nature ne s’est point remise à l’art des cuisiniers pour les choses qui sont nécessaires à notre entretien. Les viandes qui naissent aux pays où nous vivons sont préférées par les médecins aux viandes étrangères. En effet, quelle apparence que Dieu, qui a fait naître les antidotes auprès des venins, qui a pourvu les animaux au lieu où ils naissent, ait mis ici des hommes qui doivent aller chercher, au bout du monde, de quoi conserver la vie qu’il leur a donnée ?

L’excès de bouche attire l’impureté, appesantit l’esprit, étouffe l’intelligence ; il dissipe le bien des pauvres, car il ne s’entretient que du superflu : il nuit aux familles qu’il ruine, et à la santé qu’il détruit.

Ceux qui mangent le plus délicieusement sont ceux qui jouissent le moins du plaisir du goût et qui sont le plus exposé à la mortification de ce même sens ; et au contraire ceux qui se nourrissent de viandes communes ; parce que ceux-là, s’étant accoutumés à ce qu’il y a de plus rare, ne peuvent plus être touchés de rien et souffrent de tout ce qui est plus commun, quand ils arrive qu’ils y sont réduits ; au lieu que les autres ne souffrent point de ces viandes communes, auxquelles ils se sont accoutumés, et goûtent extrêmement les rares, quand ils en ont.

Hector Boëtius, qui a écrit l’histoire d’Écosse, dit que les pestes et les fièvres violentes ont été inconnues dans ce royaume,autant de temps qu’on s’y est tenu aux viandes du pays et qu’on s’est contenté des plus simples assaisonnements ; mais que les maladies extraordinaires ont été introduites par les ragoûts et les viandes de dehors.

Réflexion chrétienne n°23 :
De l’impureté

Il y a bien des libertins qui tâchent de se persuader à eux-mêmes et de persuader même aux autres que ce n’est pas un grand péché que celui de l’impureté. D’où vient donc qu’on s’en cache avec tant de soin, qu’on en rougit, que toutes les lois le condamnent, qu’on a tant de peine à s’en accuser, qu’on ne dit presque jamais tout ce qu’il faudrait dire pour l’intégrité de la confession ? D’où viennent ces remords de la conscience ? D’où vient que Dieu l’a puni si sévèrement : le déluge, Sodome, les fils de Juda, David ? D’où vient que les autres peines, l’aveuglement, l’endurcissement de cœur, la perte de la foi, l’athéisme, la soustraction de toute grâce suit si souvent de semblables fautes ?

Pœnitet me fecisse hominem. Je me repens d’avoir fait l’homme (Gen. 6, 7). Il ne le dit point après le péché d’Adam, ni celui de Caïn.

Abraham n’osa demander la grâce des Sodomites, quoiqu’il eût grande envie qu’on leur pardonnât, comme il paraît par le 18° chapitre de la Genèse ; et Moïse la demanda et l’obtint pour des idolâtres.

Saint Bonaventure donne cinq marques pour reconnaître l’amour charnel et le distinguer du spirituel : 1. Les longs entretiens, s’ils sont inutiles ; or rarement les longs peuvent-ils être utiles. 2. Témoignages de cet amour par des regards, des gestes, des mouvements, des flatteries. 3. Inquiétude dans l’absence. 4. Jalousie. 5. Complaisance pour les vices.

Faut-il s’étonner si l’on trouve peu de foi parmi tant de corruption ? Je m’étonnerais du contraire. Dieu ne verse pas ses dons dans l’ordure : Non permanebit spiritus meus. Que mon esprit ne soit pas indéfiniment humilié (Gen. 6, 3)

Aristote appelle la passion qui porte à l’impureté une espèce de mal caduc. Les Pères l’appellent péché, par antonomase. Saint Augustin dit que cette passion est un des plus grands maux que la désobéissance d’Adam nous ait apportés.

La passion de toutes où nous avons plus de pente et contre quoi nous aurions besoin de plus de secours est celle à quoi nous sommes portés par mille moyens : tous les théâtres, tous les poèmes, toutes les chansons ; les habits, faits contre ce vice, aujourd’hui se font pour le favoriser ; les dames, à qui Dieu n’a inspiré tant de pudeur naturelle que pour les défendre et rendre aux hommes comme vénérables, etc. Le chant, qui n’a été fait que pour les oreilles, se rapporte à cette passion. Les anciens étaient plus chastes dans leurs livres, dans leurs vers.

Elle ôte à l’homme le repos, l’honneur, la vertu et la raison. Preuve qu’elle ôte la raison, c’est qu’elle porte à des excès, à des extrémités incroyables : David, Samson, Salomon, Henri VIII. On revient avec peine de cette passion.

Pour l’éviter, il faut éviter la conversation avec les personnes d’un autre sexe, et se tenir en garde contre les prétextes. On dit que c’est l’esprit, la vertu, l’entretien, etc. Mais tout cela dans un homme, si vous êtes homme, ne ferait pas le même effet.