Réflexions pieuses de saint Alphonse de Liguori, n. 16 : De la miséricorde de Dieu

Dieu aime tant à nous dispenser ses grâces que (selon saint Augustin) il désire plus nous les donner que nous ne désirons les recevoir : Plus vult ille tibi largiri bona quam concupiscas. En voici la raison: la bonté divine, comme disent les philosophes, est sui diffusiva, est poussée par sa nature même à faire le bien. Dieu étant donc une bonté infinie, il a un désir infini de nous accorder et partager entre nous les trésors qu’il possède.

De là vient l’extrême indulgence avec laquelle Dieu juge nos fautes, et la miséricorde avec laquelle il nous console dans nos misères. David dit que la terre est pleine de sa divine miséricorde, et non de sa justice, Dieu n’exerce sa justice contre les malfaiteurs que quand il y est forcé par l’excès de leurs crimes. Mais il est toujours prêt à verser les grâces de sa miséricorde sur tous ceux qui s’adressent à lui. Saint Jacques dit à ce sujet : Super exaltat autem misericordia judicium. (Jac. 2. 13). Souvent la miséricorde arrache des mains de la justice le glaive prêt à frapper les pécheurs, et obtient leur pardon. C’est pourquoi le prophète donnait à Dieu le nom de Miséricorde. Deus meus, misericordia mea. (Psalm. 58. 18). Il ajoutait : Propter nomen tuum Domine, propitiaberis peccata mea. (Ps. 24. 11). Seigneur, pardonnez-moi à cause de votre nom, puisque Vous êtes la miséricorde même. Isaïe dit que le châtiment est un acte odieux au cœur du Seigneur, étranger à sa nature, et purement accidentel. Dominus irascetur ut faciat opus suum, alienum opus ejusperegrinum est opus ab eo ejus (Isa., 28, 21). Son extrême miséricorde le décida à envoyer son fils se faire homme sur terre, et mourir sur une croix pour nous délivrer de la mort éternelle. Saint Zacharie s’écrie : Per viscera misericordiæ Dei nostri in quibus visitavit nos oriens ex alto. (Luc., 1, 78). Par ces mots, viscera misericordiæ, on veut indiquer une miséricorde qui avait sa source dans le cœur de Dieu, qui aima mieux voir mourir son fils devenu homme que de voir les hommes perdus.

Une preuve de l’immense amour que Dieu nous porte et de son vif désir de nous faire du bien, nous la trouvons dans ces lignes de l’Evangile : Petite et dabitur vobis. (Math. 7. 7.) Que pourrait-on dire de plus à un ami pour le convaincre de son amour. Demande-moi ce que tu veux, je te l’accorderai. C’est là ce que Dieu dit à chacun de nous.

Il nous invite à recourir à lui dans nos chagrins et promet de les alléger : Venite ad me omnes qui laboratis et onerati estis, et ego reficiam vos. (Math.11.28.) Un jour les Hébreux se plaignaient de Dieu, et disaient qu’ils n’iraient plus lui demander de grâces. Alors Dieu dit à Jérémie : Pourquoi mon peuple ne veut-il plus venir à moi ? Suis-je une terre ingrate et paresseuse qui ne porte pas de fruits, ou n’en porte que de tardifs ? Numquid solitudo factus sum, Israel, aut terra serotina ? quare ego dixit populus meus : recessimus, non veniemus ultra ad te. (Jér. 2.31.) Par ces mots, le Seigneur blâmait la conduite des Hébreux, qui avaient douté de sa bonté toujours prête à secourir et à consoler ceux qui l’implorent, comme il l’a dit par la bouche d’Isaïe : Statim ut audierit respondebit tibi. (Isa. 30. 19.)

Vous avez péché ; voulez-vous votre pardon? Ne craignez pas, dit S. Jean Chrysostome ; car Dieu est plus impatient de vous pardonner que vous ne l’êtes de recevoir votre pardon. Non a Deo cupis dimitti peccata tua, sicut ille dimittere. (Hom. 23. in. Matt.) Si Dieu nous voit obstinés dans le péché, il nous attend pour pouvoir nous faire grâce. Expectat Deus ut misereatur vestri. (Is. 30. 18.) Il nous montre alors les châtimens qui nous sont preparés, afin que nous nous repentions. Dedisti metuentibus te significationem ut fugiant a facie arcus, ut liberentur dilecti tui. (Ps. 56.6.) Il commence par frapper à la porte de notre cœur pour que nous lui ouvrions. Ecce sto ad ostium et pulso. (Apoc. 3. 20.) Puis il nous suit partout en disant : Et quare moriemini domus Israel ? (Ezec. 18.1.31.) Comme s’il nous disait mon Fils, pourquoi veux-tu te perdre ? St Denis l’aréopagite dit qu’il va jusqu’à nous prier de ne pas nous perdre : Deus etiam a se aversos amatoriè sequitur et deprecatur ne pereant. L’Apôtre l’avait écrit avant lui. Il prie le pécheur de se réconcilier avec Jésus-Christ : Obsecramus pro Christo, reconciliamini Deo. (2. Cor. 5. 2.) S. Chrysostome a mis la note suivante à ce passage : Ipse Christus vos obsecrat. Quid obsecrat ? Reconciliamini Deo. Si, après ces douces promesses, les pécheurs persévèrent dans leurs erreurs, que peut faire Dieu ? Il promet encore de ne pas repousser ceux qui reviendront à lui contrits et repentants. Eum qui venit ad me non ejiciam foras. (Jo. 6. 37.) Il dit qu’il est prêt à embrasser tous ceux qui se jettent dans ses bras : Convertimini ad me… et convertar ad vos. (Zach. 1.3.) Il promet de pardonner à tout impie qui se repentira, et de jeter un voile sur ses fautes passées : Si autem impius egerit pænitentiam vivet, omnium iniquitatum ejus quas operatus est non recordabor. (Ezech. 18. 21. 22.) Il ajoute : Venite et arguite me ; si fuerint peccata vestra ut coccinum, quasi nisi dealbabuntur. (Isa. 11. 18.) C’est comme s’il disait : Repentez-vous, et si je ne vous embrasse pas, accusez-moi d’avoir manqué à ma parole.

Non, le Seigneur ne repousse pas un cœur repentant : Cor contritum et humiliatum Deus non despicies. (Ps. 50.9.) S. Luc décrit quelle fut la joie du Seigneur en retrouvant la brebis égarée (Luc. 15.5.), et avec combien d’amour il accueillit l’enfant prodigue lorsqu’il revint à ses pieds (Luc. 15. 20.), Dieu même a dit qu’on se réjouit plus dans le ciel du repentir d’un pécheur que du salut de quatre-vingt-dix-neuf justes. Dico vobis quod ita gaudium super uno peccatore pænitentiam agente quam super nonaginta novem justis. (Luc. 15.7.) S. Grégoire nous en apprend la raison. C’est parce que pour l’ordinaire les pécheurs contrits prient et aiment Dieu avec plus de ferveur que les justes trop souvent tiedes dans le service du Seigneur : Plerumque gratiá est Deo fervens post culpam vita, quam securitate torpens innocentia. (Apud. Cornel. a Lap. in. Loc. Cit.) Mon bon Jésus, puisque vous avez été si patient à attendre mon repentir et si clément à me pardonner, je veux vous aimer avec ardeur ; mais il faut que vous m’en donniez le pouvoir. Accordez-le-moi, Seigneur : il serait honteux pour vous d’être faiblement aimé d’un pécheur que vous avez comblé de tant de bienfaits. Seigneur, quand serai-je aussi reconnaissant envers vous que vous avez été bon envers moi ? Par le passé, au lieu d’être reconnaissant, j’ai été ingrat ; je vous ai méprisé et offensé. Serai-je toujours aussi indifférent pour vous, Seigneur, qui avez répandu votre sang pour avoir mon amour ? Non, mon Sauveur, je veux vous aimer de tout mon cœur, je me propose de ne plus vous offenser à l’avenir ; vous m’ordonnez de vous aimer, je vous aime et vous demande la grâce de vous aimer toujours. Vous me cherchez et je ne cherche que vous. Venez à mon secours ; sans vous je ne puis rien. O Marie, mère de miséricorde, faites que je sois tout à Dieu !