Textes à méditer pour grandir dans l’amour de Dieu et acquérir une vraie dévotion

Imitation de Jésus-Christ
Livre I, chapitre XV.

Des œuvres de charité

1. Pour nulle chose au monde, ni pour l’amour d’aucun homme, on ne doit faire le moindre mal ; on peut quelque fois cependant, pour rendre un service dans le besoin, différer une bonne œuvre, ou lui en substituer une meilleure : car alors le bien n’est pas détruit, mais il se change en un plus grand.

Aucune œuvre extérieure ne sert sans la charité ; mais tout ce qui se fait par la charité, quelque petit et quelque vil qu’il soit, produit des fruits abondants.

Car Dieu regarde moins à l’action qu’au motif qui fait agir.

2. Celui-là fait beaucoup, qui aime beaucoup. Celui-là fait beaucoup, qui fait bien ce qu’il fait ; et il fait bien lorsqu’il subordonne sa volonté à l’utilité publique.

Ce qu’on prend pour la charité, souvent n’est que la convoitise ; car il est rare que l’inclination, la volonté propre, l’espoir de la récompense, ou la vue de quelque avantage particulier, n’influe pas sur nos actions.

3. Celui qui possède la charité véritable et parfaite, ne se recherche en rien ; mais son unique désir est que la gloire de Dieu s’opère en toute chose.

Il ne porte envie à personne, parce qu’il ne souhaite aucune faveur particulière, ne met point sa joie en lui-même, et que, dédaignant tous les autres biens, il ne cherche qu’en Dieu son bonheur.

Il n’attribue jamais aucun bien à la créature ; il les rapporte tous à Dieu de qui ils découlent comme de leur source, et dans la jouissance duquel tous les Saints se reposent à jamais comme dans leur fin dernière.

Oh ! qui aurait une étincelle de la vraie charité, que toutes les choses de la terre lui paraîtraient vaines !

Extrait de
L’Introduction à la vie dévote
de Saint François de Sales

Description de la vraie dévotion

Vous aspirez à la dévotion, très chère Philothée, parce qu’étant chrétienne, vous savez que c’est une vertu extrêmement agréable à la divine Majesté : mais, d’autant que les petites fautes que l’on commet au commencement de quelque affaire s’agrandissent infiniment au progrès et sont presque irréparables à la fin, il faut avant toutes choses que vous sachiez que c’est (1) que la vertu de dévotion ; car, d’autant qu’il n’y en a qu’une vraie, et qu’il y en a une grande quantité de fausses et vaines, si vous ne connaissiez quelle est la vraie, vous pourriez vous tromper et vous amuser à suivre quelque dévotion impertinente et superstitieuse.

Arélius peignait toutes les faces des images qu’il faisait, à l’air et ressemblance des femmes qu’il aimait, et chacun peint la dévotion selon sa passion et fantaisie. Celui qui est adonné au jeûne se tiendra pour bien dévot pourvu qu’il jeûne, quoique son cœur soit plein de rancune ; et n’osant point tremper sa langue dedans le vin ni même dans l’eau, par sobriété, ne se feindra point de la plonger dedans le sang du prochain par la médisance et calomnie. Un autre s’estimera dévot parce qu’il dit une grande multitude d’oraisons tous les jours, quoiqu’après cela sa langue se fonde toute en paroles fâcheuses, arrogantes et injurieuses parmi ses domestiques et voisins. L’autre tire fort volontiers l’aumône de sa bourse pour la donner aux pauvres, mais il ne peut tirer la douceur de son cœur pour pardonner à ses ennemis ; l’autre pardonnera à ses ennemis, mais de tenir raison à ses créanciers, jamais qu’à vive force de justice. Tous ces gens-là sont vulgairement tenus pour dévots, et ne le sont pourtant nullement. Les gens de Saül cherchaient David en sa maison ; Michol ayant mis une statue dedans un lit et l’ayant couverte des habillements de David, leur fît accroire qu c’était David même qui dormait malade : ainsi beaucoup de personnes se couvrent de certaines actions extérieure appartenant à la sainte dévotion, et le monde croit que ce soient gens vraiment dévots et spirituels ; mais en vérité ce ne sont que des statues et fantômes de dévotion.

La vraie et vivante dévotion, o Philothée, présuppose l’amour de Dieu, ains elle n’est autre chose qu’un vrai amour de Dieu ; mais non pas toutefois un amour tel quel : car, en tant que l’amour divin embellit notre âme, il s’appelle grâce, nous rendant agréables à sa divine Majesté ; en tant qu’il nous donne la force de bien faire, il s’appelle charité ; mais quand il est parvenu jusques au degré de perfection auquel il ne nous fait pas seulement bien faire, ains nous fait opérer soigneusement, fréquemment et promptement, alors il s’appelle dévotion. Les autruches ne volent jamais ; les poules volent, pesamment toutefois, bassement et rarement ; mais les aigles, les colombes et les arondelles volent souvent, vitement et hautement. Ainsi les pécheurs ne volent point en Dieu, ains font toutes leurs courses en la terre et pour la terre ; les gens de bien qui n’ont pas encore atteint la dévotion volent en Dieu par leurs bonnes actions, mais rarement, lentement et pesamment ; les personnes dévotes volent en Dieu fréquemment, promptement et hautement. Bref, la dévotion n’est autre chose qu’une agilité et vivacité spirituelle par le moyen de laquelle la charité fait ses actions en nous, ou nous par elle, promptement et affectionnément ; et comme il appartient à la charité de nous faire généralement et universellement pratiquer tous les commandements de Dieu, il appartient aussi à la dévotion de les nous faire faire promptement et diligemment. C’est pourquoi celui qui n’observe tous les commandements de Dieu, ne peut être estimé ni bon ni dévot, puisque pour être bon il faut avoir la charité, et pour être dévot il faut avoir, outre la charité, une grande vivacité et promptitude aux actions charitables.

Et d’autant que la dévotion gît en certain degré d’excellente charité, non seulement elle nous rend prompts et actifs et diligents à l’observation de tous les commandements de Dieu ; mais outre cela, elle nous provoque à faire promptement et affectionnément le plus de bonnes œuvres que nous pouvons, encore quelles ne soient aucunement commandées, ains seulement conseillées ou inspirées. Car tout ainsi qu’un homme qui est nouvellement guéri de quelque maladie chemine autant qu’il lui est nécessaire, mais lentement et pesamment, de même le pécheur étant guéri de son iniquité, il chemine autant que Dieu lui commande, pesamment néanmoins et lentement jusques à tant qu’il ait atteint à la dévotion ; car alors, comme un homme bien sain, non seulement il chemine, mais il court et saute « en la voie des commandements de Dieu », et, de plus, il passe et court dans les sentiers des conseils et inspirations célestes. Enfin, la charité et la dévotion ne sont non plus différentes l’une de l’autre que la flamme l’est du feu, d’autant que la charité étant un feu spirituel, quand elle est fort enflammée elle s’appelle dévotion : si que la dévotion n’ajoute rien au feu de la charité, sinon la flamme qui rend la charité prompte, active et diligente, non seulement à l’observation des commandements de Dieu, mais à l’exercice des conseils et inspirations célestes.

Propriété et excellence de la dévotion

Ceux qui décourageaient les Israélites d’aller en la terre de promission leur disaient que c’était un pays qui « dévorait les habitants », c’est-à-dire, que l’air y était si malin qu’on n’y pouvait vivre longuement, et que réciproquement les habitants étaient des gens si prodigieux qu’ils mangeaient les autres hommes comme des locustes : ainsi le monde, ma chère Philothée, diffame tant qu’il peut la sainte dévotion, dépeignant les personnes dévotes avec un visage fâcheux, triste et chagrin, et publiant que la dévotion donne des humeurs mélancoliques et insupportables. Mais, comme Josué et Caleb protestaient que non seulement la terre promise était bonne et belle, ains aussi que la possession en serait douce et agréable, de même le Saint Esprit, par la bouche de tous les saints, et Notre Seigneur par la sienne même nous assure que la vie dévote est une vie douce, heureuse et amiable.


Saint François d’Assise

Le monde voit que les dévots jeûnent, prient et souffrent les injures, servent les malades, donnent aux pauvres, veillent, contraignent leur colère, suffoquent et étouffent leurs passions, se privent des plaisirs sensuels et font telles et autres sortes d’actions, lesquelles en elles-mêmes et de leur propre substance et qualité sont âpres et rigoureuses ; mais le monde ne voit pas la dévotion intérieure et cordiale, laquelle rend toutes ces actions agréables, douces et faciles. Regardez les abeilles sur le thym : elles y trouvent un suc fort amer, mais en le suçant elles le convertissent en miel, parce que telle est leur propriété. O mondains, les âmes dévotes trouvent beaucoup d’amertume en leurs exercices de mortification, il est vrai, mais en les faisant elles les convertissent en douceur et suavité. Les feux, les flammes, les roues et les épées semblaient des fleurs et des parfums aux martyrs, parce qu’ils étaient dévots ; que si la dévotion peut donner de la douceur aux plus cruels tourments et à la mort même, qu’est-ce qu’elle fera pour les actions de la vertu ?

Le sucre adoucit les fruits mal mûrs et corrige la crudité et nuisance de ceux qui sont bien mûrs ; or, la dévotion est le vrai sucre spirituel, qui ôte l’amertume aux mortifications et la nuisance aux consolations : elle ôte le chagrin aux pauvres et l’empressement aux riches, la désolation à l’oppressé et l’insolence au favorisé, la tristesse aux solitaires et la dissolution à celui qui est en compagnie ; elle sert de feu en hiver et de rosée en été, elle sait abonder et souffrir pauvreté, elle rend également utile l’honneur et le mépris, elle reçoit le plaisir et la douleur avec un cœur presque toujours semblable, et nous remplit d’une suavité merveilleuse.

Contemplez l’échelle de Jacob (car c’est le vrai portrait de la vie dévote) : les deux côtés entre lesquels on monte, et auxquels les échelons se tiennent, représentent l’oraison qui impètre l’amour de Dieu et les sacrements qui le confèrent ; les échelons ne sont autre chose que les divers degrés de charité par lesquels l’on va de vertu en vertu, ou descendant par l’action au secours et support du prochain, ou montant par la contemplation à l’union amoureuse de Dieu. Or voyez, je vous prie, ceux qui sont sur l’échelle : ce sont des hommes qui ont des cœurs angéliques, ou des anges qui ont des corps humains ; ils ne sont pas jeunes, mais ils le semblent être, parce qu’ils sont pleins de vigueur et agilité spirituelle ; ils ont des ailes pour voler, et s’élancent en Dieu par la sainte oraison, mais ils ont des pieds aussi pour cheminer avec les hommes par une sainte et amiable conversation ; leurs visages sont beaux et gais, d’autant qu’ils reçoivent toutes choses avec douceur et suavité ; leurs jambes, leurs bras et leurs têtes sont tout à découvert, d’autant que leurs pensées, leurs affections et leurs actions n’ont aucun dessein ni motif que de plaire à Dieu. Le reste de leurs corps est couvert, mais d’une belle et légère robe, parce qu’ils usent voirement de ce monde et des choses mondaines, mais d’une façon toute pure et sincère, n’en prenant que légèrement ce qui est requis pour leur condition : telles sont les personnes dévotes.

Croyez-moi, chère Philothée, la dévotion est la douceur des douceurs et la reine des vertus, car c’est la perfection de la charité. Si la charité est un lait, la dévotion en est la crème ; si elle est une plante, la dévotion en est la fleur ; si elle est une pierre précieuse, la dévotion en est l’éclat ; si elle est un baume précieux, la dévotion en est l’odeur, et l’odeur de suavité qui conforte les hommes et réjouit les anges.

Que la dévotion est convenable à toutes sortes de vocations et professions


Saints Crépin et Crépinien

Dieu commanda en la création aux plantes de porter leurs fruits, chacune « selon son genre » : ainsi commande-t-il aux chrétiens, qui sont les plantes vivantes de son Église, qu’ils produisent des fruits de dévotion, un chacun selon sa qualité et vocation. La dévotion doit être différemment exercée par le gentilhomme, par l’artisan, par le valet, par le prince, par la veuve, par la fille, par la mariée ; et non seulement cela, mais il faut accommoder la pratique de la dévotion aux forces, aux affaires et aux devoirs de chaque particulier. Je vous prie, Philothée, serait-il à propos que l’évêque voulût être solitaire comme les chartreux ? Et si les mariés ne voulaient rien amasser non plus que les capucins, si l’artisan était tout le jour à l’église comme le religieux, et le religieux toujours exposé à toutes sortes de rencontres pour le service du prochain, comme l’évêque, cette dévotion ne serait-elle pas ridicule, déréglée et insupportable ? Cette faute néanmoins arrive bien souvent, et le monde qui ne discerne pas, ou ne veut pas discerner, entre la dévotion et l’indiscrétion de ceux qui pensent être dévots, murmure et blâme la dévotion, laquelle ne peut mais de ces désordres.

Non, Philothée, la dévotion ne gâte rien quand elle est vraie, ains elle perfectionne tout, et lorsqu’elle se rend contraire à la légitime vocation de quelqu’un, elle est sans doute fausse (2). L’abeille, dit Aristote, tire son miel des fleurs sans les intéresser, les laissant entières et fraîches comme elle les a trouvées ; mais la vraie dévotion fait encore mieux, car non seulement elle ne gâte nulle sorte de vocation ni d’affaires, ains au contraire elle les orne et embellit. Toutes sortes de pierreries jetées dedans le miel en deviennent plus éclatantes, chacune selon sa couleur, et chacun devient plus agréable en sa vocation la conjoignant à la dévotion : le soin de la famille en est rendu paisible, l’amour du mari et de la femme plus sincère, le service du prince plus fidèle, et toutes sortes d’occupations plus suaves et amiables.


Saint Érasme et Saint Maurice

C’est une erreur, ains une hérésie, de vouloir bannir la vie dévote de la compagnie des soldats, de la boutique des artisans, de la cour des princes, du ménage des gens mariés. Il est vrai, Philothée, que la dévotion purement contemplative, monastique et religieuse ne peut être exercée en ces vacations-là ; mais aussi, outre ces trois sortes de dévotion, il y en a plusieurs autres, propres à perfectionner ceux qui vivent ès états séculiers. Abraham, Isaac et Jacob, David, Job, Tobie, Sara, Rébecca et Judith en font foi pour l’ancien testament ; et quant au nouveau, saint Joseph, Lydia et saint Crépin furent parfaitement dévots en leurs boutiques ; sainte Anne, sainte Marthe, sainte Monique, Aquila, Priscilla, en leurs ménages ; Cornélius, saint Sébastien, saint Maurice, parmi les armes ; Constantin, Hélène, saint Louis, le bienheureux Amé, saint Edouard, en leurs trônes. Il est même arrivé que plusieurs ont perdu la perfection en la solitude, qui est néanmoins si désirable pour la perfection, et l’ont conservée parmi la multitude, qui semble si peu favorable à la perfection : Loth, dit saint Grégoire, qui fut si chaste en la ville, se souilla en la solitude. Où que nous soyons, nous pouvons et devons aspirer à la vie parfaite.


Notes :

1) On dirait aujourd’hui : ce que c’est.

2) Sans doute : sans aucun doute.