L’esprit de Foi et son progrès

Fr. Réginald Garrigou-Lagrange O.P.

L’esprit de Foi et son progrès

Voyons d’abord ce qu’est l’esprit de foi, puis comment il doit augmenter en nous, quelle doit être finalement son excellence et sa force, pour que nous vivions constamment de lui, selon la parole de l’Écriture : « Justus ex fide vivit » (Galat., III, 11).

Qu’est-ce que l’esprit de Foi ?

De fait l’homme vit toujours selon tel ou tel esprit, soit selon l’esprit de nature, lorsqu’il ne dépasse pas le naturalisme pratique, soit selon l’esprit de foi, lorsqu’il tend sérieusement vers sa fin dernière, vers le ciel et la sainteté.

L’esprit selon lequel nous vivons est une manière spéciale de considérer toutes choses, de voir, de juger, de sentir, d’aimer, de sympathiser, de vouloir et d’agir. C’est une mentalité ou disposition particulière, qui colore presque tous nos jugements et tous nos actes, et donne à notre vie son élévation ou sa dépression.

Par suite, l’esprit de foi est une manière spéciale de juger toutes choses du point de vue supérieur de la foi essentiellement surnaturelle, qui est fondée sur l’autorité de Dieu révélateur, sur la véracité de Dieu, auteur de la grâce et de la gloire, qui par ce chemin de la foi veut nous conduire à la vie éternelle.

Cet esprit est d’une éminente simplicité qui est une participation de la sagesse de Dieu.

L’acte de foi, comme le remarque saint Thomas, est, très au-dessus du raisonnement, un acte simple, par lequel nous croyons en même temps à Dieu révélant et à Dieu révélé (1).

Par cet acte essentiellement surnaturel, nous adhérons infailliblement à Dieu qui révèle et aux mystères révélés ; et ainsi par cet acte simple, supérieur à tout raisonnement, nous tendons, dans l’obscurité, vers la contemplation des choses divines, au-dessus de toutes les certitudes d’ordre naturel.

La certitude essentiellement surnaturelle de la foi infuse dépasse de beaucoup la certitude rationnelle qu’on peut avoir de l’origine divine de l’Évangile par l’étude historique et critique des miracles qui le confirment.

La foi, qui est un don de Dieu (2), est comme un sens spirituel, qui nous permet d’entendre l’harmonie des mystères révélés, ou l’harmonie de la voix de Dieu, avant que nous soyons admis à le voir face à face. La foi infuse est comme un sens musical supérieur, qui nous permet d’entendre au moins confusément le sens d’une harmonie spirituelle mystérieuse dont Dieu est l’auteur.

C’est ce que dit saint Paul (I Cor., II, 12) : « Pour nous, nous avons reçu, non pas l’esprit du monde, mais l’Esprit qui vient de Dieu, afin que nous connaissions les choses que Dieu nous a données par sa grâce. Et nous en parlons, non avec des paroles qu’enseigne la sagesse humaine, mais avec celles qu’enseigne l’Esprit, en exprimant les choses spirituelles par un langage spirituel. Mais l’homme naturel ne reçoit pas les choses de l’esprit de Dieu, car elles sont une folie pour lui, et il ne peut les connaître, parce que c’est par l’esprit qu’on en juge. L’homme spirituel, au contraire, juge de tout et il n’est lui-même jugé par personne. Car « qui a connu la pensée du Seigneur, pour pouvoir l’instruire ? » mais nous, nous avons le sens ou la pensée du Christ. »

Pour juger ainsi, la foi est aidée par le don d’intelligence qui fait pénétrer le sens des mystères, et par le don de sagesse qui les fait goûter. Mais c’est bien elle qui nous fait adhérer infailliblement à la parole de Dieu.

Cette foi infuse, vertu théologale, est très supérieure. Malgré l’obscurité des mystères, à la connaissance intuitive et très lumineuse que possèdent naturellement les anges. La foi infuse est en effet du même ordre que la vie éternelle, dont elle est comme le germe ; elle est, dit saint Paul (Hébr., XI, 1), « la substance des choses que nous espérons », « le fondement de notre justification » (Rom., III, 22). Et les anges eux-mêmes ont eu besoin de recevoir ce don gratuit de Dieu, pour tendre à la fin surnaturelle à laquelle ils ont été appelés (3).

La Foi infuse doit augmenter en nous jusqu’à notre mort

Il importe grandement à la sanctification de nos âmes de se rappeler que la foi devrait augmenter en nous chaque jour. Elle peut être plus grande dans un juste fort peu cultivé, mais saint, que dans un théologien. Comme le dit saint Thomas (4), « la foi peut être plus grande en tel chrétien qu’en tel autre, du côté de l’intelligence, à cause d’une plus grande certitude et fermeté dans l’adhésion, et du côté de la volonté, à cause d’une plus grande promptitude et dévotion ou confiance ». La raison en est que « la foi infuse est proportionnée au don de la grâce, qui n’est pas égal en tous » (5). Ainsi Notre-Seigneur dit de certains de ses disciples qu’ils sont encore « des hommes de peu de foi » (6), « lents à croire » (7), tandis qu’il dit à la Chananéenne « Femme, ta foi est grande (8). »

« Le juste vit de la foi » (9) et de plus en plus. Il y a des âmes saintes qui n’ont jamais fait l’analyse conceptuelle des dogmes de la Trinité, de l’Incarnation, de l’Eucharistie, et qui n’ont jamais déduit de ces dogmes les conclusions théologiques connues de tous les théologiens ; mais en ces âmes pourtant la vertu infuse de foi est beaucoup plus élevée, plus intense qu’en beaucoup de théologiens. C’est là un fait que bien des béatifications et canonisations récentes confirment. Quand nous lisons la vie de sainte Bernadette de Lourdes ou de la bienheureuse Gemma Galgani, nous pouvons nous dire : Plaise à Dieu que j’aie un jour une foi aussi grande que ces âmes !

Les théologiens disent justement que la foi peut augmenter soit en extension, soit en profondeur ou intensité.

Notre foi s’étend, lorsque nous apprenons peu à peu tout ce qui a été défini par l’Eglise sur les mystères de la Trinité, de l’Incarnation, de l’Eucharistie, et sur les autres points de la doctrine chrétienne. Ainsi les théologiens connaissent explicitement tout ce qui a été défini par l’Église. Mais il ne s’ensuit pas qu’ils aient une foi aussi intense et profonde qu’elle est étendue. Et au contraire il y a, parmi les fidèles, des saints qui ignorent plusieurs points de doctrine définis par l’Église, par exemple sur l’Incarnation rédemptrice et l’Eucharistie, et qui pénètrent profondément ces mystères du salut, tels qu’ils sont simplement énoncés dans l’Évangile.

Saint Benoît-Joseph Labre, par exemple, n’eut jamais l’occasion de lire un traité théologique de l’Incarnation, mais il vivait très profondément de ce mystère et de celui de l’Eucharistie.

Cette foi plus grande en profondeur et intensité, les Apôtres la demandaient lorsqu’ils disaient au Seigneur : « Augmentez notre foi (10). » Et Jésus répondait : « Tout ce que vous demanderez avec foi dans la prière, vous l’obtiendrez (11). » Nous l’obtiendrons surtout si nous demandons pour nous-mêmes avec persévérance ce qui est nécessaire ou manifestement utile au salut, comme l’augmentation des vertus.

L’excellence et la force de l’esprit de Foi

La valeur de l’esprit de foi se mesure dans l’épreuve aux difficultés qu’il surmonte. Saint Paul le dit éloquemment dans l’Épître aux Hébreux, XI, 17…: « C’est par la foi qu’Abraham, mis à l’épreuve, offrit Isaac en sacrifice…, il offrit ce fils unique, dont devait naître, selon la promesse divine, sa postérité; il l’offrit estimant que Dieu est assez puissant pour ressusciter même les morts… C’est par la foi que Moïse quitta l’Égypte, sans redouter la colère du roi (Pharaon) ; car il tint ferme, comme s’il voyait Celui qui est invisible…

« C’est par la foi que les prophètes ont vaincu des royaumes, exercé la justice, obtenu l’effet des promesses, fermé la gueule des lions (comme Daniel), éteint la violence du feu (comme les trois enfants dans la fournaise)… Les uns ont péri dans les cachots ; d’autres ont été lapidés (comme Zacharie), sciés (comme Isaïe), torturés ; ils sont morts par le tranchant de l’épée; ils ont erré çà et là, dénués de tout, persécutés, maltraités, eux dont le monde n’était pas digne… » – Cela se renouvelle de nos jours en Russie et au Mexique. Et Saint Paul conclut (Ibid., XII, 1) : « Donc nous aussi… courons avec persévérance dans la carrière qui nous est ouverte, les yeux fixés sur Jésus, l’auteur et le consommateur de la foi, lui qui, au lieu de la joie qu’il avait devant lui, méprisant l’ignominie, a souffert la croix et s’est assis à la droite de Dieu. »

Saint Thomas d’Aquin, dans son Commentaire sur l’Épître aux Hébreux (ch. XII, 3), porté par la parole de Dieu et élevé à la contemplation de ce mystère, nous dit : « Considérez le Christ qui a supporté une telle contradiction de la part des pécheurs…. et, en n’importe quelle tribulation, vous trouverez le remède dans la Croix de Jésus. Vous y trouverez l’exemple de toutes les vertus. Comme le dit saint Grégoire le Grand, si l’on se rappelle la Passion du Sauveur, il n’y a rien de si dur et de si pénible qu’on ne puisse supporter avec patience et avec amour. »

Plus l’esprit de foi grandit en nous, plus nous avons le sens du mystère du Christ, venu en ce monde pour notre salut.

L’Église, notre mère, nous remet pour cela tous les jours sous les yeux, à la fin de la Messe, le prologue de l’Évangile de saint Jean, qui contient la synthèse de ce qu’enseigne la révélation sur le mystère du Christ. Nourrissons-nous quotidiennement de cette page sublime que nous ne pourrons jamais assez approfondir ; elle nous rappelle les trois naissances du Verbe : sa naissance éternelle, sa naissance temporelle selon la chair, et sa naissance spirituelle dans les âmes. C’est le résumé du plus élevé des quatre Évangiles.

Voilà bien l’abrégé de la foi chrétienne. D’abord la naissance éternelle du Verbe : « Au commencement était le Verbe, et le Verbe était en Dieu, et le Verbe était Dieu… (expression déjà claire de la consubstantialité du Verbe)… Dieu, personne ne le vit jamais : Le Fils qui est dans le sein du Père, c’est lui qui l’a fait connaître. Ainsi s’éclairent les paroles les plus élevées des Psaumes messianiques: « Le Seigneur m’a dit : Tu es mon Fils, je l’ai engendré aujourd’hui », aujourd’hui dans l’unique instant de l’immobile éternité. « Auquel des anges, demande saint Paul (Hebr., I, 5), a jamais été dite pareille chose ?» Le Verbe, splendeur du Père, est infiniment au-dessus de toutes les créatures, qu’il a créées et qu’il conserve.

Nourrissons-nous aussi de ce qui est dit dans le même prologue I, 14, de la naissance temporelle du Fils de Dieu : « Et le Verbe s’est fait chair, et il a habité parmi nous (et nous avons vu sa gloire, comme celle qu’un Fils tient de son Père), tout plein de grâce et de vérité. » C’est la réalisation de toutes les prophéties messianiques, et c’est la source de toutes les grâces que recevront les hommes jusqu’à la fin du monde.

Vivons enfin de ce que nous dit ce même Prologue de la naissance spirituelle du Verbe dans nos âmes : « II vint chez lui, et les siens ne l’ont pas reçu. Mais à tous ceux qui l’ont reçu, il a donné le pouvoir de devenir enfants de Dieu, à ceux qui croient en son nom, et qui sont nés, non pas du sang, ni de la volonté de la chair, ni de la volonté de l’homme, mais qui sont nés de Dieu. » Il leur a donné de devenir enfants de Dieu par adoption, comme Lui est Fils de Dieu par nature. Notre filiation est une image de la sienne, car il est dit au même endroit : « Et c’est de sa plénitude que nous avons tous reçu, et grâce sur grâce. »

Enfin le Fils de Dieu nous a dit, pour nous montrer comment il veut vivre en nous: « Si quelqu’un m’aime, il gardera ma parole, et mon Père l’aimera, et nous viendrons en lui, et nous ferons en lui notre demeure » (Jean., XIV, 23). Ce n’est pas seulement le don créé de la grâce qui viendra, ce sont les Personnes divines, le Père, le Fils et aussi le Saint-Esprit, promis par le Sauveur à ses disciples.

Chaque jour, au lieu de réciter le Credo, le Gloria, d’une façon mécanique, au lieu de lire presque machinalement ce prologue de IV Évangile, nous devrions vivre plus profondément de cet abrégé si substantiel de la Révélation divine. L’esprit de foi, en grandissant, doit ainsi normalement donner de plus en plus le sens du mystère du Christ, sens surnaturel qui devient peu à peu contemplation pénétrante et savoureuse, source de paix et de joie, selon ces paroles de saint Paul (Phil., IV, 4): « Réjouissez-vous sans cesse dans le Seigneur ;… et que la paix de Dieu, qui surpasse toute pensée, garde vos cœurs et vos intelligences, dans le Christ Jésus, notre Seigneur. »

Comment pratiquement vivre de l’esprit de Foi ?

Il faut en vivre en jugeant de toutes choses sous cette lumière supérieure, en considérant ainsi Dieu d’abord, puis notre âme, ensuite le prochain, et tous les événements de la vie.

Est-il donc besoin de dire qu’il faut considérer Dieu à la lumière de la foi ? Hélas ! oui, c’est trop nécessaire. Souvent ne considérons-nous pas Dieu lui-même à travers nos préjugés, nos sentiments très humains, nos petites passions, contrairement au témoignage qu’il donne de lui-même dans l’Écriture ?

Ne nous arrive-t-il pas, même à l’oraison, de nous écouter nous-mêmes, de prêter au Seigneur nos propres réflexions plus ou moins inspirées par notre amour-propre ? Aux heures de présomption ne sommes-nous pas inclinés à penser que la miséricorde divine est pour nous, et la justice divine pour ceux qui ne nous plaisent point ? Aux moments de découragement au contraire, ne nous arrive-t-il pas de douter pratiquement de l’amour de Dieu pour nous, de sa miséricorde sans borne ? Nous défigurons souvent la physionomie spirituelle de Dieu, en la considérant du point de vue de notre égoïsme, et non pas de celui du salut, sous la lumière vraie de la Révélation divine.

Du point de vue de la foi, Dieu apparaît, non pas au travers des mouvements de notre amour-propre, mais dans le miroir des mystères de la vie et de la passion du Sauveur, et dans celui de la vie de l’Église, renouvelée tous les jours par l’Eucharistie. Alors l’œil de la foi, dont parle souvent sainte Catherine de Sienne, se purifie de plus en plus par la mortification des sens, des passions déréglées, par celle du jugement propre et de la volonté propre. Alors seulement tombe peu à peu ce bandeau d’orgueil, ce voile qui nous empêche d’entrevoir les choses divines, ou n’en laisse paraître que les ombres et les difficultés. Souvent nous considérons les vérités de la foi comme ceux qui ne voient que du dehors les vitraux d’une cathédrale ; c’est sous la lumière intérieure qu’il faudrait apprendre à les contempler.

Nous devons nous considérer nous-mêmes à la lumière de la foi. Si nous ne nous voyons qu’à la lumière naturelle, nous découvrons en nous des qualités naturelles, que souvent nous exagérons ; puis le contact du réel, l’épreuve nous montre notre exagération ; il arrive alors que nous tombons dans une certaine dépression ou découragement.

À la lumière de la foi nous verrions en nous les trésors surnaturels que le Seigneur y a mis par le baptême, augmentés par la communion : nous nous rendrions chaque jour mieux compte du prix de la grâce sanctifiante, de l’habitation de la sainte Trinité en nous ; nous penserions à ce que doit être le fruit d’une fervente communion ; la grandeur de la vocation chrétienne à la lumière du précepte de l’amour nous apparaîtrait de plus en plus.

Nous verrions mieux aussi les obstacles qui empêchent en nous le développement de cette vie de la grâce : la légèreté qui nous fait oublier que nous avons en nous le germe de la vie éternelle, et un sot orgueil, de tout point contraire à l’esprit de sagesse. De ce point de vue supérieur, nous ne tarderions pas à découvrir en nous deux choses qu’il importe beaucoup de savoir : notre défaut dominant et notre attrait principal de grâce, le noir et le blanc, ce qu’il faut détruire et ce qui doit grandir.

Mais c’est surtout le prochain que nous oublions de considérer à la lumière de la foi. Nous le voyons à la lumière de notre raison déformée par nos préjugés, notre égoïsme, notre orgueil, nos jalousies et autres passions. Dès lors nous approuvons dans le prochain ce qui humainement nous plaît, ce qui est conforme à nos goûts naturels ou à nos caprices, ce qui nous est utile, ce qui nous fait valoir, ce que le prochain nous doit. Par suite nous condamnons en lui ce qui nous gêne, souvent ce qui le rend supérieur à nous, ce qui en lui nous porte ombrage. Que de jugements téméraires, durs, impitoyables, que de calomnies plus ou moins conscientes proviennent de ce regard obscurci par l’amour-propre et l’orgueil !

Si nous savions voir le prochain à la lumière de la foi, d’un regard spirituel très pur, quel profit pour nous et pour lui ! Alors dans nos supérieurs nous verrions les représentants de Dieu, nous leur obéirions, sans critiquer, et de tout cœur comme à Notre-Seigneur lui-même. Dans les personnes qui naturellement ne nous sont point sympathiques, nous verrions des âmes rachetées par le sang du Christ, qui font partie de son corps mystique, qui sont peut-être plus près que la nôtre de son Cœur sacré. Notre regard surnaturel percerait l’enveloppe opaque de chair et de sang qui nous empêche de voir les âmes qui nous entourent. Souvent nous vivons de longues années à côté d’âmes très belles, sans nous en douter. Il faut mériter de voir les âmes, pour les aimer sincèrement et profondément ; ce qui permettrait de leur dire ensuite de salutaires vérités et d’en entendre de leur part. De même, si nous voyions à la lumière de la foi les personnes qui naturellement nous plaisent, nous découvririons parfois en elles des vertus surnaturelles qui élèveraient beaucoup notre affection, la purifieraient. Avec bienveillance nous verrions aussi les obstacles au règne parfait de Notre-Seigneur en elles, et nous pourrions avec une vraie charité leur donner un conseil d’ami ou le recevoir d’elles, pour avancer sérieusement dans la voie de Dieu.

Enfin ce sont tous les événements de notre existence, agréables ou pénibles, qu’il faudrait voir à la lumière de la foi, pour vraiment vivre en esprit de foi. Ces événements heureux ou malheureux, comme les faits de la vie quotidienne, nous nous contentons souvent de les voir sous leur aspect sensible, accessible aux sens de l’animal, ou du point de vue de notre raison plus ou moins déformée. Il est assez rare que nous les considérions du point de vue surnaturel, qui nous montrerait, comme le dit saint Paul (Rom., VIII, 28), que pour ceux qui aiment Dieu tout concourt au bien, même les contradictions, les contrariétés les plus pénibles et les plus imprévues, même le péché, dit saint Augustin, si nous savons nous en humilier.

Dans les injustices des hommes que nous pouvons avoir à subir, nous découvririons aussi souvent la justice de Dieu, un châtiment bien mérité de fautes occultes que personne ne nous reproche, lorsqu’on nous accuse à tort d’autres fautes. Nous aurions aussi le sens des épreuves divines et de la purification que Dieu a en vue, lorsqu’il nous les envoie. Nous parlerons prochainement de la purification passive de la foi par certaines de ces épreuves, qui libèrent de tout alliage cette vertu théologale, et qui mettent en puissant relief son motif formel : la Vérité première révélatrice.

Avant d’arriver là, sachons grandir dans la foi, ne jugeons pas de tout du seul point de vue de la raison. II faut savoir renoncer à certaines lumières inférieures ou prétendues lumières, pour en recevoir d’autres beaucoup plus élevées. Il faut que le soleil se cache pour que nous puissions voir les étoiles dans les profondeurs du firmament ; de même il faut savoir renoncer à cet abus de la raison, qu’on peut appeler un rationalisme pratique, pour découvrir la splendeur très supérieure des grands mystères de la foi, et pour vivre d’eux profondément.

Rome, Angelico.


Notes :

(1) Cf. S. Thomas, IIa IIæ, qu. 2, a. 2, ad 1m « Per ista tria (credere Deo, credere Deum, credere in Deum) non designantur diversi actus fidei, sed unus et idem actus habens diversam relationem ad fidei objectum. » Par un seul et même acte essentiellement surnaturel et simple, le fidèle adhère infailliblement à Dieu qui révèle, et croit tel on tel mystère révélé, la Trinité, l’Incarnation.↑ retourner en haut

(2) Eph., II, 8: Gratia enim estis salvati per fidem, et hoc non ex vobis, Dei enim donum est. » ↑ retourner en haut

(3) Cf. Saint Thomas, Ia, q. 62, a. 2.↑ retourner en haut

(4) IIa IIæ, q. 5, a. 4.↑ retourner en haut

(5) Ibid., ad 3m.↑ retourner en haut

(6) Matth., VI, 30.↑ retourner en haut

(7) Luc, XXIV, 25.↑ retourner en haut

(8) Matth., XV, 28.↑ retourner en haut

(9) Hébr., X, 38.↑ retourner en haut

(10) Luc, XVII, 5.↑ retourner en haut

(11) Matth., XXI, 22.↑ retourner en haut