Le Pater par saint Thomas d’Aquin (IV)

Que votre nom soit sanctifié

27. – Telle est la première demande. Elle nous fait prier le Père céleste que son nom soit en nous manifesté et par nous proclamé.

Or le nom de Dieu est, tout d’abord, admirable, parce qu’en toutes créatures il opère des œuvres merveilleuses. C’est pourquoi le Seigneur déclare dans l’Évangile (Mc 16, 17) : En mon nom, ils expulseront les démons, ils parleront des langues nouvelles, et s’ils boivent quelque poison mortel, il ne leur fera aucun mal.

28. – En second lieu, le nom de Dieu est aimable. Il n’est sous le ciel, dit saint Pierre (Act 4, 12), aucun autre nom, parmi ceux qui ont été donnés aux hommes, qui puisse nous sauver. Or, tous se doivent d’aimer le salut ; et saint Ignace nous offre un exemple de cet amour. Il aima si ardemment le nom du Christ que, l’empereur Trajan l’ayant sommé de renier ce nom, il répondit : « Vous ne pourrez pas l’ôter de ma bouche ». Le tyran le menaça alors de lui trancher la tête et de retirer de la sorte le Christ de ses lèvres. « Si vous l’enlevez de ma bouche, réplique le bienheureux, vous ne pourrez jamais l’arracher de mon cœur ; j’ai en effet son nom gravé sur mon cœur ; c’est pourquoi je ne puis pas cesser de l’invoquer ». Trajan entendit ces paroles et, désireux d’en vérifier l’exactitude, il fit trancher la tête du serviteur de Dieu, puis il ordonna d’extraire son cœur et sur ce cœur on trouva le nom du Christ gravé en lettres d’or. Le Saint, en effet, avait placé ce nom sur son cœur, comme un sceau.

29. – En troisième lieu, le nom de Dieu est vénérable. L’Apôtre affirme en effet (Phil 2, 10) : Qu’au nom de Jésus tout genou fléchisse au ciel, sur la terre et dans les enfers : au ciel, dans le monde des Anges et des Bienheureux, sur la terre, chez les hommes vivant ici-bas, soit qu’ils désirent acquérir la gloire céleste, soit qu’ils craignent un châtiment et veuillent l’éviter, et dans les enfers, dans le monde des damnés, qui, eux, se prosternent avec effroi devant Jésus-Christ.

30. – En quatrième lieu, le nom de Dieu est inexprimable, en ce sens qu’aucune langue n’est capable d’en exprimer toute la richesse.

On tente cependant de le faire à l’aide des créatures. Ainsi donne-t-on à Dieu le nom de rocher, en raison de sa fermeté. Et notons que si le Seigneur donna à Simon, futur fondement de l’Église, le nom de Pierre (Mc 3, 16), c’est précisément parce que sa foi en la divinité de Jésus (cf. Mt 16, 18) devait le faire participer à sa divine fermeté.

On désigne Dieu par le nom de feu, en raison de sa vertu purificatrice ; de même en effet que le feu purifie les métaux, Dieu purifie le cœur des pécheurs. C’est pourquoi il est dit dans le Deutéronome (4, 24) : Votre Dieu est un feu consumant.

On appelle encore Dieu : lumière, à cause de la faculté qu’il possède d’illuminer ; comme la lumière en effet éclaire les ténèbres, ainsi Dieu illumine les ténèbres de l’esprit. Aussi le Psalmiste dans sa prière dit au Seigneur (Ps. 17, 29) : Mon Dieu, illuminez mes ténèbres.

31. – Nous demandons donc que ce nom de Dieu soit manifesté, qu’il soit connu et tenu pour saint.

Le mot Saint a trois significations.

Saint, d’abord, veut dire ferme, solide, inébranlable. Ainsi tous les Bienheureux qui habitent le ciel sont appelés saints, parce qu’ils sont, par la félicité éternelle, rendus inébranlables. En ce sens, il n’y a pas en ce monde de saints ; les hommes en effet y sont continuellement mobiles. « Seigneur, disait saint Augustin, je me suis éloigné de vous et j’ai beaucoup erré ; je me suis éloigné de votre stabilité ».

32. – Saint, en deuxième lieu, signifie ce qui n’est pas terrestre. C’est pourquoi les saints, qui vivent dans le ciel, n’ont aucune affection pour les choses terrestres. Je ne vois en tout qu’immondices, disait saint Paul (Phil 3, 8), afin de gagner le Christ.

Par le mot terre, on désigne les pécheurs.

Premièrement, parce que la terre fait germer. Si on ne la cultive pas, des épines et des chardons, comme il est écrit dans la Genèse (3, 18) ; il en va de même de l’âme du pécheur ; si elle n’est pas cultivée par la grâce, elle ne produit que les chardons et les épines des péchés.

En second lieu, la terre désigne les pécheurs à cause de son obscurité naturelle et de son opacité, symbole de l’âme ténébreuse et opaque des pécheurs. Il est dit en effet dans la Genèse (1, 2) : Les ténèbres couvraient la face de l’abîme.

En troisième lieu, la terre est l’image des pécheurs, parce que, si elle n’est pas agglutinée par de l’eau, elle se divise et se désagrège, elle se pulvérise et devient sèche ; car le Seigneur a établi la terre sur les eaux, d’après les paroles du Psalmiste (Ps. 135, 6) : Dieu a affermi la terre sur l’eau. Ainsi l’humidité de l’eau remédie à l’aridité et à la sécheresse de la terre. De même le pécheur, privé de la grâce, n’a plus qu’une âme sèche et aride, ainsi que le constatait l’auteur du Psaume 142 (Vers. 6) : Mon âme, dit-il, est une terre sans eau.

33. – Enfin, troisièmement, saint signifie « teint de sang ». Aussi les saints qui sont dans le ciel sont appelés saints, parce qu’ils sont teints de sang, suivant ces paroles de l’Apocalypse (7, 14) : Ceux-là qui sont revêtus de robes blanches sont ceux qui viennent de la grande tribulation et qui ont lavé leurs vêtements dans le sang de l’Agneau. De ces bienheureux il est dit également (Apoc 1, 5) : Jésus, qui nous a aimés, nous a lavés de nos péchés par son sang.