La Communion, éducation divine

Par le Bienheureux Pierre-Julien Eymard,
fondateur de la Congrégation du Très Saint Sacrement

Et erunt omnes docibiles Dei

Dieu lui-même sera notre maître (Jn, VI, 45)

On choisit, pour présider à l’éducation d’un prince, l’homme le plus instruit, le plus noble, le plus distingué. La majesté souveraine se doit cet honneur. Lorsque le jeune prince aura grandi, le roi lui-même lui apprendra l’art de gouverner les hommes : seul il peut lui apprendre cet art, parce que seul il l’exerce.

Nous sommes les princes de Jésus-Christ, nous tous, chrétiens : nous sommes de sang royal. — Dans nos premières années, pour nous ébaucher, Notre-Seigneur nous confie à ses ministres ; ils nous parlent de Dieu, nous expliquent sa nature et ses attributs ; nous le montrent, nous le promettent ; ils ne peuvent nous le faire sentir, ni comprendre dans sa bonté : Jésus-Christ vient alors lui-même, au jour de la première Communion, nous faire goûter le sens caché et intime de toutes les instructions que nous avons reçues : Jésus vient alors se révéler lui-même à l’âme ; c’est une œuvre que les paroles et les livres étaient impuissants à faire. C’est vraiment le triomphe de l’Eucharistie, de former l’homme spirituel, de former Jésus-Christ en nous : une éducation intérieure sera toujours incomplète, si elle ne se fait pas par Notre-Seigneur lui-même en nous.

I.

Or Jésus vient en nous pour nous enseigner toutes les vérités. Celui qui ne communie pas n’a qu’une science spéculative. Il ne sait guère que des termes ; il ignore les choses qu’ils signifient. Jésus ne s’est pas montré à lui. — Il peut savoir la définition, la règle, les progrès que doit suivre une vertu pour se développer ; il ne sait pas Notre-Seigneur lui-même. Il est semblable à l’aveugle guéri dans l’Évangile, qui parlait de Notre-Seigneur, mais ne le connaissait pas encore lui-même. Il en parlait comme d’un grand prophète, d’un ami de Dieu. Quand Jésus-Christ se fut déclaré à lui, il voit Dieu, il tombe à ses pieds, il l’adore.

Or l’âme qui avait, avant la Communion, une idée de Notre-Seigneur, qui le connaissait par les livres, le voit, le reconnaît avec ravissement à la Table sainte ; Notre-Seigneur ne se fait bien connaître que par lui-même. C’est alors l’apprentissage de la vérité par la Vérité vivante et substantielle : on s’écrie tout hors de soi : Dominus meus, et Deus meus ! Comme le soleil, Jésus-Christ se démontre par sa propre lumière et non par les raisonnements. Cette révélation intime pousse l’esprit à rechercher les raisons cachées des mystères, à sonder l’amour, la bonté de Dieu dans ses œuvres : cette connaissance n’est pas stérile et desséchante comme la science ordinaire ; elle est affectueuse et douce : on connaît et l’on sent en même temps ; elle pousse à aimer, elle enflamme, elle fait agir. Elle fait entrer dans l’intérieur des mystères : l’adoration faite après la Communion et sous l’influence de la grâce de la Communion ne se contente pas de soulever l’écorce, elle voit, raisonne, contemple le fond du plan divin : Scrutatur intima Dei. — On va alors de clarté en clarté, comme au ciel. Le Sauveur nous apparaît sous un jour toujours nouveau : bien que le sujet de notre méditation soit toujours Jésus vivant en nous, notre méditation n’est jamais la même. En Jésus il y a des abîmes d’amour qu’il faut sonder avec une foi aimante, active. Ah ! si l’on osait sonder Notre-Seigneur, comme on l’aimerait ! Mais l’apathie, la paresse se contente des données reçues, des points de vue extérieurs. La paresse a peur d’aimer : or plus on connaît, de cette connaissance du cœur, plus on se sent forcé d’aimer !

II.

L’éducation faite par la Communion, par Jésus en nous, forme à l’amour, fait produire de nombreux actes d’amour, et c’est en cela que sont toutes les vertus. Jésus nous forme à l’aimer par la démonstration éclatante et intime qu’il nous fait de son amour pour nous. Il nous convainc qu’il nous donne tout ce qu’il a, tout ce qu’il est : il nous force à l’aimer par l’excès de sa charité envers nous. Voyez comment la mère forme le cœur de son enfant à l’aimer : c’est en l’aimant. Ainsi fait Notre-Seigneur.

Personne ne peut vous donner l’amour de Notre-Seigneur : personne ne l’infuse en votre Cœur : on peut vous exhorter à aimer ; mais vous apprendre comment on aime, c’est au-dessus des moyens de l’homme, on l’apprend en le sentant. À Notre-Seigneur seul cette éducation du cœur, parce que lui seul veut en être la fin. Il commence par donner au communiant le sentiment de l’amour, puis la raison de l’amour : il pousse enfin à l’héroïsme de l’amour. Mais cela ne s’apprend qu’à la Communion. « Si vous ne mangez la chair du Fils de l’homme et ne buvez son sang, vous n’aurez pas la vie en vous. » Quelle vie, sinon la vie de l’amour, la vie agissante qui ne se puise qu’à sa source, en Jésus lui-même ?

Quel jour, dans quel acte de la vie chrétienne se sent-on le plus aimé de Jésus, si ce n’est dans la Communion ? On pleure de joie après avoir été pardonné, c’est vrai : mais le souvenir du péché empêche le bonheur d’être complet. À la Communion, c’est le bonheur dans sa plénitude : là seulement on voit, on pèse tous les sacrifices de Jésus-Christ, et sous le poids de tant d’amour, on finit par éclater et par s’écrier : Mon Dieu ! mon Dieu ! comment pouvez-vous tant m’aimer ! Et on se lève de la table sainte respirant le feu de l’amour : Tanquam ignem spirantes (saint Chrysostome). On sent quelle immense ingratitude ce serait de ne rien faire en retour de tant de bonté. On se plonge d’abord dans son néant et on va ensuite, incapable de tout par soi, mais fort de celui qui est en nous, à toutes les vertus. L’amour ainsi senti produit toujours le dévouement de correspondance.

Ce qu’il y a à faire, l’amour l’indique. Il fait sortir de soi, nous élève jusqu’aux vertus de Notre-Seigneur, nous retire en lui, et l’éducation ainsi conduite va loin et vite. Si tant de chrétiens restent sur le seuil de la vertu, c’est qu’ils ne veulent pas briser les chaînes qui les retiennent et se mettre avec confiance sous la conduite de Notre-Seigneur. Ils sentent que s’ils communient, ils ne pourront résister à l’amour de Jésus et qu’il faudra se donner en retour. Ils se contentent alors des livres, des paroles, et n’osent pas s’adresser au Maître lui-même.

Oh ! mes frères, prenez donc Jésus-Christ lui-même pour Maître ! Prenez-le en vous, et qu’il dirige toutes vos actions. N’allez pas vous contenter de l’Évangile, des traditions chrétiennes : ne vous contentez pas de méditer les mystères passés, Jésus est là vivant ; il renferme en lui tous les mystères ; tous vivent en lui et y ont leur grâce : donnez-vous donc à Jésus-Christ ; qu’il demeure en vous : vous porterez alors beaucoup de fruit, selon la parole qu’il vous en donne lui-même : Qui manet in me, et ego in eo, hic fert fructum multum.