La Fête du Très Saint Sacrement

(Extrait de L’année liturgique de Dom Prosper Guéranger)

Christum regem adoremus dominantem gentibus
qui se manducantibus dat spiritus pinguedinem.
Adorons le Christ roi Seigneur des nations
engraissant l’âme de qui le prend en nourriture.

Une grande solennité s’est levée sur le monde : la Fête-Dieu, ainsi l’ont appelée nos pères ; vraiment fête de Dieu, mais aussi fête de l’homme, étant la fête du Christ-médiateur présent dans l’Hostie pour donner Dieu à l’homme et l’homme à Dieu. L’union divine est l’aspiration de l’humanité (1) ; à cette aspiration, ici-bas même, Dieu a répondu par une invention du ciel. L’homme célèbre aujourd’hui cette divine merveille.

Contre cette fête toutefois et son divin objet, des hommes ont répété la parole déjà vieille: Comment ces choses peuvent-elles se faire (2) ? Et la raison semblait justifier leurs dires contre ce qu’ils appelaient les prétentions insensées du cœur de l’homme.

Tout être a soif de bonheur, et cependant, et pour cela même, n’aspire qu’au bien dont il est susceptible ; car c’est la condition du bonheur de ne se rencontrer que dans la pleine satisfaction du désir qui le poursuit. De là vient qu’au commencement, la divine Sagesse préparant les cieux, creusant les abîmes, équilibrant la terre et composant toutes choses avec la Toute-Puissance (3), distribua inégalement la lumière et la vie dans ce vaste univers, et mesura ses dons aux destinées diverses ; plaçant l’harmonie du monde dans ce rapport parfait des divers degrés d’être avec les fins variées des créatures, sa bonté prévoyante adapta les besoins, l’instinct, le désir de chacune à leur nature propre, et n’ouvrit pas en elles des aspirations que celle-ci ne saurait satisfaire. La poursuite du bien et du beau, la recherche de Dieu, loi impérieuse de toute nature intelligente et libre, ne doit-elle pas s’arrêter en conséquence, elle aussi, aux proportions finies de cette nature même ? N’arriverait-il pas autrement que le bonheur fût placé, pour quelques êtres, en des jouissances que leurs facultés créées ne peuvent atteindre ?

Quelque étrange que puisse paraître une telle anomalie, elle existe pourtant : l’humanité, dans tous les âges, par ses tendances les plus universelles, les mieux constatées, par toutes ses religions vraies ou fausses, en rend témoignage. Comme tout ce qui vit autour de lui, l’homme a soif de bonheur ; et cependant, seul sur cette terre, il sent en lui des aspirations qui dépassent immensément les bornes de sa fragile nature. Tandis que, docilement rangés sous le sceptre remis en ses mains par l’Auteur du monde, les humbles hôtes de sa royale demeure accomplissent dans la pleine satisfaction de tout désir rempli leurs services divers, le roi de la création ne peut trouver dans le monde de contre-poids à l’irrésistible impulsion qui l’entraîne au delà des frontières de son empire et du temps ,vers l’infini. Dieu même se révélant à lui, par ses œuvres, d’une façon correspondante à sa nature créée; Dieu cause première et fin universelle, perfection sans limites, beauté infinie, bonté souveraine, objet bien digne de fixera jamais en les comblant son intelligence et son cœur : Dieu ainsi connu, ainsi goûté, ne suffit pas à l’homme. Cet être de néant veut l’infini dans sa substance ; il soupire après la face du Seigneur et sa vie intime. La terre n’est à ses yeux qu’un désert sans issue, sans eau pour étancher sa soif brûlante ; dès l’aurore, son âme veille, affamée du Dieu qui peut seul calmer ces ardeurs, et sa chair même éprouve vers lui d’ineffables tressaillements (4). « Comme le cerf, s’écrie-t-il, aspire après l’eau des fontaines, ainsi mon âme aspire a. après vous, ô Dieu ! Mon âme a soif du Dieu fort, du Dieu vivant. Oh ! quand viendrai-je, quand paraîtrai-je devant la face de Dieu ? Mes larmes sont devenues mon pain du jour et de la nuit ; on médit tous les jours : Où est ton Dieu? J’ai repassé leurs injures, j’ai répandu mon âme au dedans de moi-même. Mais je passerai jusqu’au lieu du tabernacle admirable, jusqu’à la maison de Dieu. Voix d’allégresse et de louange ! c’est l’écho du festin. Pourquoi es-tu triste, mon t âme ? Pourquoi me troubles-tu ? Espère en Dieu, parce que je le louerai encore : il est le salut que verra mon visage, il est mon Dieu (5). »

Enthousiasme étrange assurément pour la froide raison ; prétentions, semble-t-il, vraiment insensées ! cette vue de Dieu, cette vie divine, ce festin dont Dieu même serait l’aliment, l’homme fera-t-il jamais que ces sublimités ne demeurent infiniment au-dessus des puissances de sa nature, comme de toute nature créée ? Un abîme le sépare de l’objet qui l’enchante, abîme qui n’est autre que l’effrayante disproportion du néant à l’être. L’acte créateur dans sa toute-puissance ne saurait à lui seul combler l’abîme ; et pour que la disproportion cessât d’être un obstacle à l’union ambitionnée, il faudrait que Dieu même franchît la distance et daignât communiquer à ce rejeton du néant ses propres énergies. Mais qu’est donc l’homme, pour que l’Etre souverain dont la magnificence est au-dessus des cieux abaisse jusqu’à lui leurs hauteurs (6) ?

Mais alors aussi, qui donc a fait du cœur humain ce gouffre béant que rien ne saurait remplir? Lorsque les cieux racontent la gloire de Dieu, et les œuvres de ses mains la sagesse et la puissance de leur auteur (7), d’où vient en l’homme un tel manque d’équilibre ? Le poids, le nombre et la mesure (8) auraient-ils fait défaut pour lui seul au suprême ordonnateur ? Et celui qui devait être le chef-d’œuvre de la création, comme il en est le couronnement et le roi, ne serait-il qu’une de ces œuvres manquées accusant par leur défaut de proportions la lassitude ou l’impuissance de l’ouvrier ? Loin de nous un tel blasphème ! Dieu est amour (9), » nous dit saint Jean ; et l’amour est le nœud du problème qui se dresse, aussi insoluble qu’inévitable, en face de la philosophie réduite à ses seules forces.

Dieu est amour ; et la merveille n’est pas que nous ayons aimé Dieu, mais qu’il nous ait lui-même prévenus d’amour (10). Mais l’amour appelle l’union, et l’union veut des semblables. O richesses de la divine nature en laquelle s’épanouissent, également infinis, Puissance, Sagesse et Amour, constituant dans leurs sublimes relations la Trinité auguste qui, depuis Dimanche, darde sur nous ses feux ! O profondeurs des divins conseils, où ce que veut l’Amour sans bornes trouve en la Sagesse infinie de sublimes expédients qui font la gloire de la Toute-Puissance !

Gloire à vous tout d’abord, Esprit-Saint, dont le règne à peine commencé illumine de tels rayons nos yeux mortels, qu’ils analysent ainsi les éternels décrets ! Au jour de votre Pentecôte, une loi nouvelle, toute de clartés, a remplacé l’ancienne et ses ombres. La loi du Sinaï, le pédagogue qui préparait à la vraie science et régissait l’enfance du monde, a reçu nos adieux : la lumière a brillé par la prédication des saints Apôtres ; et les fils de lumière, émancipés, connaissant Dieu, connus de lui, s’éloignent toujours plus chaque jour des maigres et infirmes éléments du premier âge (11). A peine s’achevait, Esprit divin, la triomphante Octave où l’Eglise célébrait avec votre avènement sa propre naissance : et déjà, empressé pour la mission reçue par vous de rappeler à l’Epouse les leçons du Seigneur (12),vous présentiez aux regards de sa foi le sublime et radieux triangle dont la contemplation ravit nos âmes éperdues dans l’adoration et la louange. Mais le premier des grands mvstèrcs de notre foi, le dogme sans fond de la très sainte Trinité, ne représentait pas l’économie entière de la révélation chrétienne ; vous aviez hâte d’étendre, avec le champ de vos enseignements, les horizons de la foi des peuples.

La connaissance de Dieu en lui-même et dans sa vie intime appelait comme complément celle de ses œuvres extérieures, et des rapports qu’il a voulu établir entre lui et ses créatures. Et voilà qu’en cette semaine qui nous voit commencer avec vous l’ineffable inventaire des dons précieux laissés en nos mains par l’Epoux montant au ciel (13), en ce premier jeudi qui nous rappelle le jeudi, saint entre tous, de la Cène du Seigneur, vous découvrez à nos cœurs tout à la fois la plénitude, le but, l’admirable harmonie des œuvres qu’opère le Dieu un dans son essence et trois dans ses personnes ; sous le voile des espèces sacrées, vous offrez à nos yeux, monument divin, le mémorial vivant des merveilles accomplies par le concert de la Toute-Puissance, de la Sagesse et de l’Amour (14) !

L’Eucharistie pouvait seule, en effet, mettre en pleine lumière le développement dans le temps, la marche progressive des divines résolutions inspirées par l’amour infini qui les conduit jusqu’à la fin (15), jusqu’au dernier terme ici-bas qui est elle-même ; couronnement de l’ordre surnaturel en cette terre de l’exil, elle explique et suppose tous les actes divins antérieurs. Nous ne saurions donc pénétrer sa divine importance, qu’en embrassant d’un, même regard les opérations de l’amour infini dont elle est sur terre le sommet glorieux. Ainsi, en même temps, trouverons-nous le secret de ces aspirations supérieures à la nature qui donnent à l’histoire de l’humanité, jusqu’en ses égarements, tant de grandeur mystérieuse ; ainsi verrons-nous que celui-là seul a creusé l’abîme du cœur humain, qui peut et veut le combler.

Tout acte de la divine volonté, hors de Dieu comme en lui-même, est amour pur, se rapportant à la troisième des augustes personnes, qui est, par le mode de sa procession, l’Amour substantiel et infini. De même que le Père tout-puissant voit toutes choses, avant qu’elles existent, en son Verbe unique, en qui s’épuise la divine intelligence : de même, pour qu’elles soient, il les veut toutes dans l’Esprit-Saint, qui est à la divine volonté ce qu’est le Verbe à l’intelligence souveraine. Terme dernier auquel s’arrête l’intime fécondité des personnes, en la divine essence, l’Esprit d’amour est en Dieu le principe premier des œuvres extérieures : communes dans l’exécution aux trois personnes, elles ont en lui leur raison d’être. Ineffable solliciteur, il incline la Divinité en dehors d’elle-même ; il est le poids qui, rompant les éternelles barrières, plus violent que la foudre (16), entraîne des sommets de l’être aux confins du néant la Trinité auguste. Ouvrant le grand conseil, il y dit la parole : « Faisons l’homme à notre image et ressemblance (17). » Et Dieu crée l’homme à son image ; il le crée à l’image de Dieu (18), copiant son Verbe, l’archétype souverain, dans lequel toute création plonge ses racines comme dans le lieu des essences. Car le Verbe, pensée du Père, miroir très pur (19) de l’intelligence infinie, renferme en soi l’idée divine de toute chose : règle des mondes, exemplaire éternel, lumière vivante et vivifiante (20) qui donne leur forme et leur nature à tous les êtres. Mais dans l’homme seul, résumé des mondes, à la fois esprit et matière, se retrouvera l’expression complète de la pensée créatrice. L’âme même, en lui, portera directement l’ image de la divine ressemblance (21), dont ce même Verbe est l’expression substantielle et infinie (22) : doué d’intelligence et de liberté comme l’Etre souverain, il animera pour Dieu la création entière ; elle remontera par lui vers son Auteur dans un hommage, borné sans doute, mais en rapport avec toute cette nature inférieure sortie du néant à l’appel divin. Tel est, tel serait du moins l’ordre naturel, ensemble harmonieux, chef-d’œuvre de bonté s’il eût existé jamais seul, mais loin encore des ineffables projets de l’Esprit d’amour.

Dans la pleine spontanéité d’une liberté qui pouvait s’abstenir et n’a d’égale que sa puissance, l’Esprit-Saint veut pour l’homme, au delà du temps, l’association à la vie même de Dieu dans la claire vision de son essence; la vie terrestre des fils d’Adam revêtira elle-même par avance la dignité de cette vie supérieure, à tel point que celle-ci ne sera que le fruit direct, l’épanouissement régulier de la première. Aussi, pour que l’être chétif de la créature ne demeure pas au-dessous d’une telle destinée, pour que l’homme puisse suffire aux ambitions de son amour, l’Esprit fait-il que, simultanément à l’acte de création, les trois divines personnes infusent en lui leurs propres aptitudes et greffent sur ses puissances finies et bornées les puissances mêmes de la nature divine.

Cet ensemble d’une destinée supérieure à la nature et d’énergies en rapport avec cette destinée, qui se superposent aux facultés naturelles pour les transformer sans les détruire, prendra le nom d’ordre surnaturel, par comparaison avec l’ordre inférieur qui eût été celui de la nature, si les divines prévenances n’eussent ainsi dès l’abord élevé l’être humain au-dessus de lui-même. L’homme gardera de cet ordre inférieur les éléments qui constituent son humaine nature, avec l’emploi qui leur est propre; mais tout ordre se spécifie surtout par la fin que poursuit l’ordonnateur : et la fin dernière de l’homme n’ayant jamais été autre en la pensée divine qu’une fin surnaturelle, il s’ensuivra que l’ordre naturel proprement dit n’aura jamais eu d’existence indépendante et séparée.

Vainement une orgueilleuse philosophie, s’appelant quand même « indépendante et séparée », prétendra s’en tenir aux dogmes naturels et aux vertus purement humaines : non moins que les merveilleuses ascensions des âmes fidèles, les effrayants écarts des révoltés dans les voies de l’erreur ou du crime prouveront à leur manière que la nature n’est plus, ne fut jamais pour l’homme un niveau auquel il puisse espérer se maintenir. En fût-il ainsi d’ailleurs, que l’homme ne pourrait encore légitimement se soustraire aux intentions divines. « En nous assignant une vocation surnaturelle, Dieu a fait acte d’amour ; mais il a fait acte aussi d’autorité. Son bienfait nous devient un devoir. Noblesse oblige : c’est un axiome parmi les hommes. Ainsi en est-il de la noblesse surnaturelle que Dieu a daigné conférer à la créature (23). »

Noblesse sans pareille, qui fait de l’homme non plus seulement l’image de Dieu, mais vraiment son semblable (24) ! Entre l’infini, l’éternel, et celui qui naguère n’était pas et reste à jamais créature, l’amitié, l’amour désormais sont possibles : tel est le but de la communauté d’aptitudes, de puissances, de vie, établie entre eux par l’Esprit d’amour. Ils n’étaient donc pas tout à l’heure le fruit d’un enthousiasme insensé, ces soupirs de l’homme vers son Dieu, ces tressaillements de sa chair mortelle (25) ! elle n’était pas une vaine chimère cette soif du Dieu fort, du Dieu vivant, cette aspiration dévorante au festin de l’union divine (26) ! Rendu participant de la nature divine (27), quoi d’étonnant que l’homme en ait conscience, et se laisse entraîner par la flamme incréée vers le foyer d’où elle rayonne jusqu’à lui ? Témoin autorisé de ses propres œuvres, l’Esprit est là d’ailleurs pour confirmer le témoignage de notre conscience, et attester à notre âme que nous sommes bien les fils de Dieu (28). C’est lui-même qui, se dérobant au plus intime de notre être où il demeure pour maintenir et conduire à bonne fin son œuvre d’amour, c’est l’Esprit qui, tantôt par de soudaines illuminations ouvrant aux yeux de notre cœur les horizons de la gloire future, inspire aux fils de Dieu les accents anticipés du triomphe (29) ; tantôt soupire en eux ces gémissements inénarrables (30), ces chants d’exil imprégnés des larmes brûlantes d’un amour pour qui l’union se fait trop attendre. Comment redire la suavité victorieuse des incomparables harmonies qui, dans le secret des âmes blessées du trait divin, montent ainsi de la terre au ciel ? Victorieux en effet seront ces soupirs ; et si l’union éternelle est trop incompatible avec les jours du pèlerinage et de l’épreuve, la vallée des larmes verra pourtant d’ineffables mystères.

Dans ce concert merveilleux de l’Esprit et de l’âme, « celui qui scrute les cœurs, nous dit l’Apôtre, connaît le désir de l’Esprit, parce qu’il prie selon Dieu pour les saints (31). » Désir tout-puissant par suite comme Dieu lui-même; désir, nouveau en tant que de l’homme né d’hier, mais éternel comme de l’Esprit dont l’immuable procession est avant tous les âges. En réponse au désir de l’Esprit, des insondables profondeurs de son éternité, Celui pour qui tout existe, et que nul œil mortel n’a contemplé ni ne peut voir (32), a résolu de se manifester dans le temps et de s’unir à l’homme encore voyageur, non par lui-même, mais en son Fils, la splendeur de sa gloire et l’expression très fidèle de sa substance (33). Dieu a tant aimé le monde (34), qu’il lui adonné son Verbe, la divine Sagesse engagée à l’humanité dès le sein du Père. Figuré par le sein d’Abraham, rendez-vous mystérieux des justes sous l’ancienne alliance, lieu de repos des âmes saintes avant que ne fût ouverte au peuple élu la voie du céleste sanctuaire (35), le sein du Père est le lit nuptial chanté par David (36), d’où procède l’Epoux, quittant à l’heure marquée les sommets des cieux pour chercher sa fiancée, et l’y ramenant avec lui pour l’introduire au lieu des noces éternelles. Marche triomphante de l’Epoux en sa beauté (37), dont le prophète Michée a dit, parlant de son passage en Bethléhem, que le point de départ en est des jours de l’éternité (38) ! Tel est, en effet, d’après les sublimes enseignements de la théologie catholique, l’étroit rapport de la procession éternelle et de la mission dans le temps des divines personnes, qu’une même éternité les unit toutes deux en Dieu : éternellement l’auguste Trinité contemple l’ineffable naissance du Fils unique au sein du Père ; éternellement, du même regard, elle le voit procédant comme Epoux du même sein paternel.

Que si maintenant nous venons à comparer entre eux les éternels décrets, il est facile de reconnaître ici le décret principal entre tous, et comme tel primant tous les autres en la pensée créatrice. Dieu le Père a tout fait pour cette union de la nature humaine avec son Fils : union si intime qu’elle devait aller, pour l’un des membres de cette humanité, jusqu’à l’identification personnelle avec le Fils très unique du Père; union si universelle, qu’à des degrés divers, aucun des individus de la race humaine ne devait être exclu que par lui-même des noces divines avec la Sagesse éternelle ainsi manifestée dans le plus beau des enfants des hommes (39). Ainsi « Dieu, qui d’une parole autrefois fit jaillir la lumière au sein des ténèbres, resplendit lui-même en nos cœurs, les initiant à la connaissance de la gloire divine par la face du Christ Jésus (40). » Ainsi le mystère des noces est-il bien le mystère du monde; ainsi le royaume des cieux est-il semblable à un roi qui fait les noces de son fils (41).

Mais où donc se fera la rencontre ici-bas du prince et de sa fiancée? Où doit se consommer cette union merveilleuse ? Qui nous dira la dot de l’Epouse, le gage de l’alliance ? Sait-on l’ordonnateur du banquet nuptial, et quels mets seront servis aux convives ?

A ces questions la triomphante réponse éclate aujourd’hui de toutes parts sous la voûte du ciel. A la puissance des accents sublimes que se renvoient les échos de la terre et es cieux, reconnaissons le Verbe divin. L’adorable Sagesse est sortie des temples : elle crie sur les places publiques, en tête des foules, aux portes des villes (42) ; établie sur les montagnes, occupant les points élevés des grandes routes, barrant les sentiers, elle fait entendre sa voix aux fils des hommes (43). Et dans le même temps courent ses servantes, les grâces variées portant son message aux humbles de cœur : a Venez, mangez mon pain, buvez le vin que j’ai mélangé pour vous. » Car la Sagesse s’est bâti une demeure ici-bas ; elle a elle-même immolé ses victimes, préparé le vin et dressé sa table (44) : tout est prêt, venez au festin des noces (45) !

O Sagesse, qui êtes sortie de la bouche du Très-Haut, atteignant d’une extrémité à l’autre et disposant toutes choses avec force et douceur (46), nous implorions au temps de l’Avent votre venue en Bethléhem, la maison du pain ; vous étiez la première aspiration de nos cœurs haletants sous l’attente des siècles. Le jour de votre glorieuse Epiphanie manifesta le mystère des noces, et révéla l’Epoux; l’Epouse fut préparée dans les eaux du Jourdain ; nous chantâmes les Mages courant avec des présents au festin figuratif, et les convives s’enivrant d’un vin miraculeux (47). Mais l’eau changée en vin pour suppléer à l’insuffisance d’une vigne inféconde présageait de plus grandes merveilles. La vigne, la vraie vigne dont nous sommes les branches (48), a donné ses fleurs embaumées, ses fruits de grâce et d’honneur (49). Le froment abonde dans les vallées, elles chantent un hymne de louange (50) ; car cette force du peuple couvre de ses épis jusqu’au sommet des montagnes, et sa tige nourricière domine le Liban (51).

Sagesse, noble souveraine, dont les charmes divins captivent dès l’enfance les cœurs avides de la vraie beauté (52), il est donc arrivé le jour du vrai festin des noces ! comme une mère pleine d’honneur, comme la jeune vierge en ses attraits, vous accourez pour nous nourrir du pain de vie, nous enivrer du breuvage salutaire (53). Meilleur est votre fruit que l’or et la pierre précieuse, meilleure votre substance que l’argent le plus pur (54). Ceux qui vous mangent auront encore faim, ceux qui vous boivent n’éteindront pas leur soif (55). Car votre conversation n’a point d’amertume, votre société de dégoût; avec vous sont l’allégresse et la joie (56), les richesses, la gloire et la vertu (57).

En ces jours où siégeant dans la nuée (58), vous élevez votre trône dans l’assemblée des saints, sondant à loisir les mystères du divin banquet, nous voulons publier vos merveilles, et, de concert avec vous, chanter vos louanges en face des armées du Très-Haut (59). Daignez ouvrir notre bouche et nous remplir de votre Esprit, divine Sagesse, afin que notre louange soit digne de son objet, et qu’elle abonde, selon votre promesse dans les saints Livres, en la bouche fidèle de vos adorateurs (60).

 


 

Notes :

1. Aspiration, on le verra, qui ne relève point de la nature, mais uniquement de ce fait que Dieu a élevé l’homme à l’ordre surnaturel et qu »il le lui a dit.

2. JOHAN. III, VI, 33.

3. Prov. VIII, 22-34.

4. Psalm. LXII, 2.

5. Psalm. XLI, 2-7.

6. Psalm. CXLIII, 5.

7. Psalm. XVIII, 2.

8. Sap. XI, 21.

9. I JOHAN. IV, 8.

10. I JOHAN. IV, 10.

11. Gal. III, IV.

12. JOHAN. XIV, 26.

13. Cf. Psalm. LXVII, 19; Eph. IV, 8.

14. Psalm. CX, 4.

15. JOHAN. XIII, 1.

16. Cant. VIII, 6.

17. Gen. I, 26.

18. Ibid. 27.

19. Sap. VII, 26.

20. JOHAN. 1, 3, 4.

21. Sap. II, 23.

22. Heb. 1, 3.

23. CARDINAL PIE. Première Instruction synodale sur les principales erreurs du temps présent.

24. Gen. 1, 26.

25. Psalm. LXII, 2.

26. Psalm. XLI, 2-7.

27. II Petr. 1, 4.

28. Rom. VIII, 16.

29. Eph. 1, 17, 18; Rom. V, 2.

30. Rom. VIII, 26.

31. Rom. VIII, 27.

32. I Tim. VI, 16.

33. Heb. 1, 3.

34. JOHAN. III, 16.

35. Heb. IX, 8.

36. Psalm. XVIII, 6.

37. Psalm. XLIV, 5.

38. MICH. V, 2.

39. Psalm. XLIV, 3.

40. II Cor. IV, G.

41. MATTH. XXII, 21.

42. Prov. I, 20, 21.

43. Ibid. VIII, 1-4.

44. Ibid. IX, 1-5.

45. MATTH. XXII, 4.

46. Ia ex Ant. maj. Adventus.

47. Ant. Epiph. ad Benedictus.

48. JOHAN. XV, 5.

49. Eccli. XXIV, 23.

50. Psalm. LXIV, 14.

51. Psalm. LXXI, 16.

52. Sap. VIII, 2.

53. Eccli. XV, 2, 3.

54. Prov. VIII, 19.

55. Eccli. XXIV, 29.

56. Sap. VIII, 16.

57. Prov. VIII 18.

58. Eccli. XXIV, 7.

59. Ibid. 1-4.

60. Eccli. XV, 5, 10.