Note sur le jeûne

[extrait de sodalitium français  n°27 de mars 1992, avec quelques ajouts]

 

Nous n’avons pas besoin de démontrer à des chrétiens l’importance et l’utilité du jeûne; les divines Ecritures de l’Ancien et du Nouveau Testament déposent tout entières en faveur de cette sainte pratique.
(Dom Prosper Guéranger, Abbé de Solesmes, L’année liturgique, Le Carême. Ed. de 1878 pp. 11 et 12)

Malheureusement aujourd’hui, l’abbé de Solesmes changerait d’opinion; le jeûne a presque totalement disparu de la vie spirituelle des chrétiens, malgré les éloges qu’en font l’Ancien Testament (Tobie XII, 8; II Rois XII, 16; Judith VIII, 6; Joël II, 12; Esther XIV, 2; II Machabées XIII, 12), et le Nouveau Testament (Matthieu VI, 16-18 et XIV, 15: Actes XIII, 2-3; II Cor. VI, 5 et XI, 27).

Naturellement parlant, le jeûne consiste à ne prendre ni nourriture, ni boisson. Dans l’Eglise il existe deux formes de jeûne: le jeûne ecclésiastique et le jeûne eucharistique. C’est le jeûne ecclésiastique qui nous intéresse ici.

Pourquoi le jeûne ecclésiastique

Faire pénitence est un commandement divin. Si nous ne faisons pénitence, nous périrons tous (cfr. Luc XIII, 5).

L’Eglise, appliquant ce commandement, a depuis toujours prescrit des jours de jeûne. Prenant exemple sur Moïse, Elie et Notre-Seigneur Jésus-Christ qui jeûnèrent quarante jours, Elle institua le Carême.

Selon saint Jérôme (Ep. XXVII ad Marcellam), saint Léon le Grand (sermon II, V, IX de Quadragesima), saint Cyrille d’Alexandrie (Homil. Paschal.) et saint Isidore (De eccles. officiis 1, VI c. XIX), les apôtres eux-mêmes avaient déjà établi le jeûne quadragésimal.

Le jeûne des Quatre-Temps, au début de chaque saison, est aussi très ancien dans l’Eglise Romaine; de même que le jeûne des vigiles des fêtes.

Le lien de notre milice

Se référant au jeûne quadragésimal, le Pape Benoit XIV écrivait:

L’observance du Carême est le lien de notre milice; c’est par elle que nous nous distinguons des ennemis de la Croix de Jésus-Christ; c’est par elle que s’éloignent les fléaux de la colère divine; c’est par elle que, protégés par l’aide céleste durant le jour, nous nous fortifions contre les princes des ténèbres. Si cette observance se relâchait, ce serait au détriment de la gloire de Dieu, pour le déshonneur de la religion catholique et le péril des âmes chrétiennes; et sans aucun doute, cette négligence deviendrait la source de malheurs pour les peuples, de désastres dans les affaires publiques, d’infortunes pour les individus.
(Enc. Non Ambigimus 30 mai 1741)

La prophétie s’est malheureusement réalisée.

La discipline actuelle

Dans la situation actuelle, c’est “dans la cendre et le cilice” qu’il faudrait faire pénitence. Au moins, observons la loi de l’Eglise en ce qui concerne l’abstinence de la viande et le jeûne. Elle est très adoucie et facilitée par rapport à la rigueur du passé. Mais quelle est précisément la loi de l’Eglise en la matière?

Etant donnée l’absence de valeur de la Constitution ‘Poenitemini’ par laquelle J. B. Montini (1966), qui n’avait pas l’Autorité Pontificale, réduit à deux les jours de jeûne, on doit se référer à la loi précédente.

Celle-ci se trouve dans le Code de Droit Canon, aux canons 1250-1254, modifiés par deux décrets de la Sacrée Congrégation des Rites (16 IX 1955) et de la Congrégation du Concile (25 VII 1957). Compte tenu de ces modifications, nous vous rappelons la loi actuelle pour les fidèles de rite latin (c’est à dire n’appartenant pas aux Eglises Orientales), loi que nous tirons du “Catéchisme de la doctrine chrétienne publié par ordre du Souverain Pontife Saint Pie X”, édité par la Libreria Editrice Vaticana en 1959.

La loi du jeûne oblige tous les fidèles non excusés ou dispensés, dont l’âge se situe entre les 21 ans révolus et le commencement de la 60ème année. Celle de l’abstinence de la viande oblige dès l’âge de 7 ans. Le jeûne consiste à faire un seul repas par jour, mais deux petites collations, que les théologiens limitent à 60 grammes le matin et 250 grammes le soir, sont tolérées.

Les jours de pénitence sont les suivants :
  1. De la seule abstinence
    1. Tous les vendredis de l’année sauf ceux qui tombent le jour d’une fête de précepte.
  2. De l’abstinence et du jeûne
    1. le mercredi des Cendres
    2. chaque vendredi et samedi de Carême
    3. les mercredi, vendredi et samedi des Quatre-Temps, ou des quatre saisons, c’est à dire:
      1. du printemps, dans la première semaine de Carême
      2. de l’été, dans la semaine de Pentecôte
      3. de l’automne, dans la troisième semaine de septembre
      4. de l’hiver, dans la troisième semaine de l’Avent.
    4. les vigiles:
      1. de Noël, le 24 décembre
      2. de la Pentecôte
      3. de l’Immaculée Conception (7 décembre)
      4. de la Toussaint (31 octobre).
  3. Du jeûne seul
    1. Tous les autres jours de férie du Carême (c’est à dire tous les autres jours de semaine du Carême : on ne fait jamais jeûne le dimanche).
Une dispense de Pie XII

Pendant la guerre, à partir de 1941, beaucoup d’indults limitèrent la loi de l’Eglise que nous venons d’exposer : on jeûnait par force puisqu’il n’y avait rien à manger…

Mais le 28 janvier 1949, le décret de la Sacrée Congrégation du Concile “Cum Adversa” restaura partiellement l’observance de la loi, limitant les facultés de dispense accordées précédemment aux Ordinaires dans les limites suivantes : on devait observer de nouveau l’abstinence tous les vendredis, et l’abstinence avec jeûne le jour des Cendres, le Vendredi Saint et les vigiles de l’Assomption (remplacée ensuite par celle de l’Immaculée Conception) et de Noël. Pour plus de détails, voir l’article “Quelle est actuellement la loi du jeûne ecclésiastique ?” (Sodalitium n°54 de décembre 2002).

Ce serait cependant une erreur de considérer ce décret de 1949 comme étant la loi en vigueur: par ce décret, Pie XII maintenait seulement la faculté de dispense pour tous les jours prescrits sauf quatre et sauf l’abstinence les vendredis. Mais cette faculté de dispense n’ayant pas été renouvelée du fait de l’absence en acte de l’Autorité, personne, au sens propre du terme, ne peut aujourd’hui s’en prévaloir.

Toutefois,

  • étant donnée l’intention exprimée par Pie XII dans le décret de 1949;
  • étant donné qu’en temps normal les Ordinaires auraient pu dispenser de la loi et réduire l’obligation à seulement quatre jours par an;
  • étant donné enfin que cette loi [canon 1252] n’est plus observée, de fait, depuis 1941, ce pour quoi on pourrait éventuellement invoquer – contre l’observance de la loi – une habitude de plus de quarante ans (cf. canons 25-30);

on peut être particulièrement bienveillant en acceptant les causes de suppression du jeûne et de l’abstinence pour les jours où, à partir de 1949, l’usage était d’en dispenser.