Le pape du concile – 5ème partie

De la seconde guerre mondiale à la nomination à Paris (1939-1944)

(Extrait de la revue Sodalitium n. 26 de décembre 1991 pp. 25 sqq.)

par M. l’Abbé Francesco Ricossa

Dix février 1939: mort de Pie XI; le 2 mars Pie XII est élu, le 2 septembre l’Allemagne envahit la Pologne de l’ouest tandis que Staline l’occupe à l’est. Pour défendre l’indépendance polonaise l’Angleterre et la France déclarent la guerre à l’Allemagne: ainsi commence la IIème guerre mondiale. Lorsqu’elle se terminera en 1945, la Pologne se retrouvera en partie annexée, en partie contrôlée par l’Union Soviétique par l’intermédiaire du parti communiste au pouvoir. La grande guerre annoncée à Fatima en 1917 aura pour résultat le plus tangible la diffusion des « erreurs de la Russie » (encore Fatima) dans le monde divisé, à Yalta, entre les USA et l’URSS.
Des territoires sous la juridiction du Délégué Apostolique Mgr Roncalli, l’un, la Grèce, est envahi en 1941 par les armées de l’Axe, l’autre, la Turquie, reste neutre. « Istamboul et Ankara deviennent les repères de l’espionnage international » (1), comme dans tout pays neutre en temps de guerre; la position de Mgr Roncalli prend donc de l’importance: le voici représentant du Saint Siège au centre d’une intense activité diplomatique.
C’est encore l’occasion pour Roncalli de manifester son caractère irénique et oecuménique, désireux qu’il est de contenter tout le monde.

Montini et Roncalli

Sur ce point les évênements de la seconde guerre mondiale mettent en évidence une différence entre les deux grands amis (2) Montini et Roncalli.
Du Vatican Mgr Montini a une ligne politique précise qu’il cherche à faire approuver par Pie XII. Fils d’un député du Partito Popolare (démocrate-chrétien), traducteur et diffuseur, en Italie, des oeuvres de Maritain qui annoncent avec joie la fin de l’ancienne Chrétienté et la naissance d’une nouvelle « Chrétienté » pluraliste, libérale et humaniste, Mgr. Montini est clairement hostile au Concordat, qu’il considère comme un compromis avec le Fascisme; il voit dans les évênements de la guerre l’occasion de réaliser ses idéaux. Déjà en 1942, par exemple, les deux prosecrétaires d’état, Tardini et Montini, auront des avis différents à l’occasion d’une défaite italienne: Tardini jugera « barbare et inique » la reddition inconditionnelle imposée par l’ennemi; au contraire, Montini et De Gasperi (caché au Vatican) soutiendront la reddition inconditionnelle qui signifirait pour l’Italie « n’avoir pas d’autre solution que de se débarrasser de Mussolini, d’abandonner l’Axe et de miser sur une victoire des alliés »(3).
En cette même période, Roncalli, quant à lui, traite avec le Baron Von Lersner pour mettre au point un plan de paix excluant la reddition inconditionnelle non seulement de l’Italie mais aussi de l’Allemagne (4); Roncalli, par ailleurs, semble avoir oublié ses sympathies pour les grévistes ou pour la Démocratie chrétienne. L’Italie de Mussolini “en tant que pays organisé et respectueux de la religion est encore celui où l’on est le mieux” (lettre à sa famille, 22/04/1939). “Il faut être reconnaissant à Mussolini [pour le Concordat]” (lettre à sa famille 25/12/1939). Il écrit carrément: “le Général Pétain l’a bien dit hier. Une des causes de la défaite française a été la jouissance sans frein des biens de la terre après la grande guerre. Les Allemands, au contraire, ont commencé par s’imposer restrictions et sacrifices, aussi se sont-ils trouvés prêts et forts. C’est, sous une autre forme, la parabole des vierges sages et des vierges folles” (lettre à sa famille 21/6/1940) (5).
Il serait vain de chercher des phrases semblables sous la plume de l’idéologue Montini, même en la période de plus grand consensus entre le peuple et le régime; quant à devenir ami de l’ambassadeur allemand Von Papen comme le fit Roncalli, Montini, tout diplomate de carrière qu’il était, n’y aurait pas mieux réussi.
Pourtant lorsqu’en 1943 “le scénario projeté par De Gasperi et Montini se déroula, [Roncalli] …ne versera aucune larme sur Mussolini et acceptera sans problème le gouvernement Badoglio »(6).

Le caractère de Roncalli

On peut donc conclure que, tandis que la politique de Montini est motivée par de profondes convictions intellectuelles, celle de Roncalli est plutôt le résultat d’impulsions caractérielles. Hostile par indolence, tempérament, par ses idées, à un catholicisme intransigeant (7) il cherche à éviter le dur « oui, oui, non, non » des oppositions de parti; il préfère s’accorder le plus souvent sur la longueur d’ondes de l’interlocuteur, qu’il s’agisse d’un individu isolé (pourvu que non intégriste!), ou du monde moderne en général. Ainsi, lorsque le monde des années 60 se fera de plus en plus laïciste et progressiste, Roncalli ira au-devant par désir de plaire et par affinité élective (mais davantage par désir de plaire). Montini lui aussi par désir de plaire et affinité élective (mais plutôt par affinité élective).
Cette façon d’aller à la rencontre du monde sera présentée comme une pratique de la charité, de l’humilité, de l’art pastoral du « Bon Pape », et sans doute est-ce ainsi que ce dernier se le présentait à lui-même (8). Mais, étant données les conséquences et les erreurs doctrinales impliquées par ce comportement systématique, [étant donnée peut-être aussi une certaine ambition qui filtre à travers les écrits roncalliens sous les continuelles professions d’humilité (9)], on peut y entrevoir plutôt un effet « du désir d’être loué…et de la crainte d’être injurié ». Prions d’en être libérés (10).
Bien sûr ces opinions, les miennes, sur le for interne de Jean XXIII sont plus contestables, je m’en rends compte, que les faits externes exposés ci-dessus; il me paraissait cependant intéressant et utile d’en parler, notre but étant de chercher à mieux comprendre notre personnage et son comportement.

La rencontre avec les Juifs

Etant donné le rôle qu’aura Jean XXIII dans le dialogue avec le communisme et le judaïsme, il n’est pas sans intérêt de parler des premières rencontres de Roncalli avec ces deux réalités.
L’avance progressive des troupes allemandes mit en fuite, en effet, un grand nombre de Juifs; le chemin de la Palestine passait par la Turquie, pays neutre. Déjà en 1940 Roncalli avait aidé un groupe de ces fugitifs venus de Pologne (11). En décembre 1941 “le navire Struma quitta le port roumain de Constance…avec une cargaison humaine de 769 réfugiés Juifs” (12) mais il sauta sur une mine. Mgr Roncalli commente: “Nous sommes devant un des plus grands mystères de l’histoire de l’humanité. Pauvres enfants d’Israël. J’entends continuellement leurs gémissements autour de moi. Je les plains et fais de mon mieux pour les aider. Ils sont parents et concitoyens de Jésus” (12). Mgr Roncalli certes n’est pas le seul clerc catholique à avoir compassion des Juifs en fuite et à leur apporter une aide efficace, mais, comme je l’ai déjà dit, “les Juifs voulant fuir l’Europe occupée par les nazis doivent nécessairement traverser les Balkans et passer par Istamboul” (12).
Dans cette oeuvre de sauvetage, Mgr Roncalli collabora avec le roi Boris de Bulgarie, allié de l’Allemagne (13), et avec l’Ambassadeur allemand Von Papen, celui-là même qui fut sauvé de la condamnation à mort par le témoignage de Roncalli au procès de Nuremberg. Ensemble, Von Papen et Roncalli auraient aidé “24 000 Juifs, leur fournissant vêtements, argent et papiers d’identité” (14).
Au-delà de l’oeuvre caritative y eut-il une implication doctrinale ou politique chez Roncalli? Il serait intéressant, pour répondre à cette question, de mieux étudier sa pensée sur l’émigration juive en Palestine et ses rapports avec les associations juives.

Le Sionisme

La question de l’immigration des Juifs en Palestine est incompréhensible en dehors du Sionisme. Si le but du Sionisme est de “reconstituer en Palestine un état juif” (15), c’est alors l’aspiration commune du judaïsme dès la fin du royaume d’Israël: “exilé par la force de sa propre terre, le peuple lui resta fidèle à travers toutes les dispersions et ne cessa jamais de prier d’y retourner et d’y rétablir sa propre liberté politique” (16). Les Juifs, interprêtant faussement les Ecritures, pensaient que là était le but du Messie: restaurer le Royaume d’Israël et lui soumettre le monde entier. Cette attitude des Juifs est décrite dans les Evangiles. Après la multiplication des pains, la foule veut faire de Jésus son roi (Jean VI, 14); Jésus refuse (Jean VI, 15) connaissant bien leur fausse interprétation qui transparaîtra à travers leurs accusations lorsqu’ils le livreront à Pilate (Mc XXXIII, 2). Les Apôtres eux-mêmes, au début, eurent de la peine à se défaire de cette conception (Actes I, 6) (17). Les Juifs par contre ne s’en sont jamais départis, attendant un Roi Messie restaurateur de l’Etat d’Israël. Cependant, tandis que les Juifs « orthodoxes » attendent encore aujourd’hui le Messie à venir, beaucoup d’autres Juifs l’identifient au peuple Juif même, et voient dans l’actuel Etat d’Israël, laïque et socialiste, la réalisation de l’ancien rêve de leurs pères. Et là nous rejoignons le sionisme politique moderne.
Parmi les précurseurs modernes du Sionisme, Elia Artom signale les « Amis de Sion », Edmond Rothschild, “quelques écrivains parmi lesquels Moses Hess (1812-1875) qui s’inspira du risorgimento italien, et enfin Léo Pinsker (1821-1894); ceux-ci visèrent à faire renaître le sentiment national des Juifs et à les persuader de la nécessité de reprendre une vie propre sur leur propre terre” (18). Au lecteur qui connait la vie de Karl Marx, le nom de Moses Hess aura sauté aux yeux: le précurseur du Sionisme avec son livre “Rome et Jérusalem, la dernière question nationale” (1862) (19) est ce même Moses Hess qui fit engager Marx au Rheinische Zeitung comme rédacteur en chef (1842); qui le retrouva ensuite à Paris au périodique de M. Börnstein « Vorwärts » avec Bakounine, Engels et Heine (1844); c’est enfin ce même Moses Hess qui dans cette revue « Vorwärts » (en avant) rédige le « Cathéchisme des communistes » qui servira de base à Engels pour son livre « Principes du communisme » et à Marx lui-même pour son célèbre « Manifeste » (1848) (20).
De toutes façons si les premiers établissements juifs en Palestine, déjà en 1882 (colonisation sporadique) (21) sont dus à Pinsker et aux « Amis de Sion », le véritable fondateur du Sionisme moderne est cependant Théodore Herzl (1860-1904),ce juif hongrois qui, suite à l’affaire Dreyfus, théorisa la reconstruction d’un état juif en Palestine ou en Argentine dans son livre « Der Juden staat » (1895). En août 1897 le premier congrès mondial sioniste de Bâle rédige un « Programme » qui prévoit la création de ce futur état dans la seule Palestine. Le mouvement sioniste donne naissance à diverses associations qui visent à en réaliser les plans. Telles sont: l’organisation sioniste (1897), la Jewish Colonial Trust (1899), banque dont le siège est à Londres, le Fond Perpétuel pour Israël ou Queren Quayyemet (1901), le Jewish Territorial Organisation (J.T.O.) (1905), l’Université juive de Jérusalem (1918-25), la Jewish Agency (1922), le Fond de Construction ou Queren ha-yesod (1920) [d’après l’Encyclopédie catholique le Queren Quayyemet ou « Corne de la résurrection » et le Queren ha-yesod ou « Corne de la fondation » étaient deux branches de l’Agence juive, ayant pour tâche l’une de pourvoir en territoires, l’autre de les distribuer aux colons].
Les colons pratiquaient la méthode collectiviste des kibboutzim, “très voisins des Kolkhozes soviétiques” (21). Cette ressemblance entre le modèle soviétique et le modèle sioniste n’est pas fortuite. «A qui la mémoire historique fait défaut, je rappelle qu’Israël est né socialiste. L’URSS, le marxisme-léninisme…ont été une composante fondamentale dans la formation d’Israël. Son fondateur Ben Gourion se rendra de Palestine à Moscou en 1921; il en reviendra frappé par le “génie charismatique de Lénine”» (21bis).
Cependant, à son arrivée en Palestine, Ben Gourion se heurte à une difficulté: les arabes. Malgré les colonisations entreprisent dès 1882, en Palestine “la population était en 1919, dans sa presque totalité, d’origine arabe” (22). Ce qui n’empêcha pas le ministre anglais des affaires étrangères Lord Balfour d’écrire, le 2 novembre 1917, au président de la fédération sioniste anglaise Lionel Rotschild: “Le gouvernement de sa majesté voit d’un oeil favorable l’établissement en Palestine d’un Foyer national (National Home) pour le peuple judaïque; il mettra tout en oeuvre pour en faciliter l’exécution”. C’est la célèbre « Déclaration Balfour »acceptée par les autres pays belligérants, confirmée à la conférence de SanRemo (24/4/1920), incluse dans le traité de paix avec la Turquie (Sèvres,10/8/1920) et introduite enfin par la Société des Nations dans le texte du mandat sur la Palestine confié à la Grande Bretagne (1922) avec la nomination comme haut commissaire du juif Sir Samuel.
A la fin de la première guerre mondiale, avec la destruction de l’Empire Ottoman (qui étendait jusqu’alors sa domination sur la Palestine), la maçonnique Société des Nations confiait donc à l’Angleterre la tâche de rendre possible la création du futur Etat d’Israël. A l’opposition politique et militaire des arabes, riposta une “petite mais puissante armée clandestine, dite Haghanah” (23).
“Le conflit entre les promesses faites aux Juifs et les revendications des populations d’origine arabe résidant en Palestine ne fut pas sans créer des problèmes à la domination britannique” (22). Coincés entre deux feux (arabes et juifs) les anglais se débrouillèrent comme ils purent, surtout lorsque les persécutions nazies eurent augmenté la force des revendications juives. Pousser les anglais et l’ONU à prendre une décision, c’est ce à quoi pensa le groupe « Lehi », «plus connu sous l’appellation de bande Stern: organisation armée qui se rendit responsable d’actes de terrorisme sanguinaires. A la tête de ce Stern fut placé le jeune Yitzhak [Yezernitski, l’actuel Shamir, premier ministre israëlien n.d.r.]. “Entre autres exploits célèbres revendiqués par l’organisation” (24), notons: l’assassinat au Caire de Lord Moyne que Churchill avait nommé haut commissaire britannique pour le Moyen Orient, l’attentat à l’hotel King David de Jérusalem qui fit 91 morts, l’assassinat du médiateur de l’ONU Folke Bernadotte». Lorsque prit fin “le 14 mai 1948 le mandat du Royaume Uni en Palestine… les leaders juifs proclamèrent immédiatement l’Etat d’Israël” (22). L’URSS fut la première nation à le reconnaître (21bis).
Dans son journal intime, à la clôture du 1er congrès sioniste de Bâle, Théodore Herzl écrivit: «“A Bâle j’ai fondé l’état juif. Si aujourd’hui je le disais à haute voix, ce ne seraient partout qu’éclats de rire. D’ici à cinq ans peut-être, en tout cas d’ici à cinquante ans, tout le monde comprendra”. A l’échéance exacte des 50 ans naîtra l’Etat d’Israël» (21).

L’Eglise et le Sionisme

Herzl ne manqua pas de demander aux gouvernants d’alors de soutenir sa cause, entre autres à Léon XIII. Deux autres sources juives nous mentionnent ensuite une entrevue avec Saint Pie X (élu en 1903, alors que Herzl mourut en 1904). Nous avons déjà publié à ce sujet le témoignage de l’écrivain André Chouraqui (26). Je puis citer maintenant un autre témoignage, celui de Gabriel Levi, professeur titulaire à « La Sapienza », université de Rome: “La naissance du Sionisme politique (tout laïque qu’il ait été) fut mal acceptée sur le plan strictement religieux par l’Eglise. En réponse au plaidoyer de Théodore Herzl pour la cause sioniste, le Pape Pie X déclara explicitement qu’après avoir refusé le Christ et perdu ensuite le Temple et l’Etat pour cette faute, les Juifs ne pouvaient compter sur l’Eglise pour revendiquer le droit à une renaissance politique” (27). Comme nous le verrons lorsque nous reviendrons à Roncalli, l’Eglise s’opposa comme elle put à la colonisation juive de la Palestine imposée par les Anglais.
Lorsque la Palestine fut arrachée aux Turcs, Benoit XV commenta: “En outre lorsque les chrétiens ont repris possession des Lieux Saints, de tout notre coeur nous nous sommes unis à l’exultation générale des bons; mais notre joie n’était pas exempte de crainte; crainte exprimée dans l’Allocution consistoriale que nous avons citée, crainte que, suite à un évènement si magnifique et heureux, les Israélites ne se trouvent en Palestine dans une position prépondérante et privilégiée. Si nous en jugeons par l’état actuel des choses, hélàs, ce que nous craignions s’est vérifié. On remarque en effet que non seulement la condition des chrétiens en Palestine ne s’est pas améliorée, mais qu’elle a même empiré: la nouvelle organisation civile établie là-bas tend – sinon dans les intentions de ceux qui l’ont promue, du moins certainement dans les faits – à chasser la chrétienté des positions qu’elle a jusqu’alors occupées, pour lui substituer les Juifs” (Alloc. « Ricorderete certamente » au consistoire du 13/6/1921) (28).
Une fois l’Etat d’Israël devenu réalité, “le Pape Pie XII, préoccupé du sort des lieux saints…a énoncé clairement son anxiété… dans trois lettres encycliques (du 1er mai 1948, du 24 octobre 1948, du 15 avril 1949) et dans l' »Exhortation » du 8 novembre 1949. Malgré les assurances réitérées des Juifs et des Arabes de vouloir respecter les Sanctuaires vénérables, les profanations, les destructions et les menaces dont ils ont été l’objet durant et après le conflit [arabo-israélien de 1948 n.d.r.] montrent à quel point sont fondées les préoccupations du Pape” (23). Ces paroles rapportées par l’Encyclopédie catholique décrivent la situation courant 1953. Aujourd’hui ce ne sont plus les seuls Sanctuaires à être menacés, mais la présence chrétienne elle-même en Israël et au Moyen-Orient (29). Ce long excursus nous a éloignés, il est vrai, de notre sujet, mais maintenant que nous y revenons, il va nous permettre une meilleure compréhension.

Roncalli, la Palestine et les organisations sonistes

La Jewish Agency (Agence juive), organisation sioniste dont nous avons déjà parlé, avait des bureaux à Istamboul (30); elle prit contact avec Roncalli. “Chaim Barlas, de l’Agence juive de Jérusalem, rencontre Roncalli le 22 janvier 1943. C’est la première d’une longue série d’entrevues qui eurent pour point culminant, l’année suivante, la visite du grand rabbin de Jérusalem, Isaac Herzog” (30). Toujours en janvier 1943 Chaim Barlas demande à Roncalli son intervention auprès du Vatican afin d’obtenir de celui-ci une aide à l’émigration en Palestine et une déclaration publique dans ce sens. Roncalli intercède, mais de la Secrétairerie d’Etat le Card. Maglione déclare y trouver des difficultés « insurmontables ». Le Card. « ne voit manifestement pas d’un bon oeil “le transfert des Juifs en Palestine, problème inséparable de celui des Lieux Saints à la liberté desquels le Saint Siège est si vivement attaché”…Le 14 mai 1943 le même Maglione écrit à Mgr William Godfrey, délégué apostolique à Londres, pour l’informer que “les catholiques seraient blessés dans leur sentiment religieux et craindraient à juste titre pour leurs droits si la Palestine venait à appartenir exclusivement aux Juifs”» (30).
La réponse du Card. Maglione, qui n’est pourtant que “la position ferme et longuement réfléchie du Vatican”, est qualifiée “de décevante, pompeuse, déconcertante… absurde » par le même Hebblethwaite, hagiographe de Jean XXIII (30). Il ne comprend pas, ne veut pas comprendre, qu’aider l’innocent persécuté est une chose, qu’il soit catholique ou juif, mais qu’il en est une autre d’épouser la cause sioniste; cette cause est en effet inacceptable pour l’Eglise du fait de ses origines; nous l’avons vu plus haut. “Roncalli n’est pas homme à faire sienne une indifférence qui témoigne d’aussi peu de solidarité” poursuit Hebblethwaite (30); il signe de nombreux visas de transit pour la Palestine, ce pour quoi Chaim Barlas le remercie le 22 mai 1943 (30). « En février 1944, il [Roncalli] rencontre deux fois Isaac Herzog, le grand rabbin de Jésuralem afin de parler du sort de 55000 Juifs de la Transtyrie, région sous administration roumaine et constituée des territoires soustraits à l’Union Soviétique en 1941… Cette fois Roncalli réussit à déplacer les montagnes au point de recevoir un témoignage de gratitude de la part du rabbin Herzog (31)… qui envoie “les bénédictions de Jésuralem et de Sion” à Roncalli et à Ryan [son secrétaire n.d.r.]. Roncalli est profondément ému. Le 23 mars 1944 il peut écrire à Chaim Barlas que tous les problèmes soulevés ont été pris en considération par le Saint Siège et il conclut ainsi sa lettre: “Que Dieu soit avec vous et vous apporte grâce et prospérité. Je suis toujours à votre service et à celui de tous les frères d’Israël”. (Actes et documents…Vol. 10 p. 188).
Il fera écho à ces paroles le 17 octobre 1960, lorsqu’il recevra en audience 130 juifs d’Amérique sous la conduite du rabbin Herbert Friedman…“Il y a bien sûr une différence [dit Jean XXIII] entre ceux qui ne reconnaissent que l’Ancien Testament et ceux qui y ajoutent le Nouveau, dans lequel ils voient leur loi et leur guide suprême. Mais cette différence n’abolit pas la fraternité d’une origine commune. Nous sommes tous fils du même Père. Nous venons du Père et au Père nous devons retourner” (Righi. “Le Pape Jean sur les rives du Bosphore”. Ed. Messaggero. Padoue 1971, avec une préface de L. Capovilla p. 197)» (32).
Ces paroles de Jean XXIII sont extrêmement graves. Première duperie: la différence entre chrétiens et juifs consisterait dans le fait que les premiers ajoutent le Nouveau Testament à l’Ancien. Erreur par omission étant donné que les juifs, à leur tour, ajoutent à l’Ancien Testament le Talmud, allant jusqu’à le préférer à la loi de Dieu (33). Seconde tromperie: la différence en question (rien moins que de reconnaítre ou de refuser le Christ et Sa divinité) ne suffirait pas à annuler “l’unité radicale d’origine [nous venons du Père], de destin et d’insersion dans le même plan divin [et au Père nous devons retourner]” des hommes de toutes les religions, pour reprendre les mots même de Jean-Paul II (34). Chrétiens et Juifs seraient-ils fils du même Père? Au sens impropre en tant que créatures de Dieu, oui. Au sens propre dans la mesure où il s’ensuivrait pour les uns et les autres l’adoption comme fils de Dieu, non, non et encore non! La Foi en Dieu le Père ne peut subsister sans la Foi en Dieu le Fils: “Si Dieu était votre Père – dit Jésus à celui qui s’écarte de Lui par cette petite différence consistant à ne pas accepter le Nouveau Testament – vous M’aimeriez aussi, car Je procède et Je viens du Père… Vous avez pour père le diable, et vous voulez satisfaire les désirs de votre père… Celui qui est de Dieu écoute la parole de Dieu, voilà pourquoi vous ne l’écoutez pas: parce que vous n’êtes pas de Dieu” (Evangile selon St Jean, VIII, 33-47). “Et non potest solvi scriptura !”

Nicola Ivanov

Les contacts pris par Mgr. Roncalli avec les représentants soviétiques en 1943-44 sont de peu de poids comparés à ceux pris avec les associations juives (et même avec l’Ambassade allemande). Ces entrevues avec le Consul général à Istamboul d’abord, puis avec l’Ambassadeur à Ankara, visaient à échanger des prisonniers de guerre.
L’Ambassadeur allemand auprès du Saint Siège prévint qu’on n’obtiendrait rien des soviétiques: “Le régime soviétique ne s’intéresse pas au sort de ses prisonniers de guerre, les considérant comme des traîtres” (36). C’était parfaitement vrai, et après 3 mois de pourparlers, on obtint seulement un bon « niet », avec la promesse – relatée par Roncalli – de respecter la liberté de conscience en Russie (37). Selon Hebblethwaite toutefois, la rencontre ne fut pas vaine: Roncalli “a appris à parler aussi aux Russes et il a trouvé parmi eux des personnes sympathiques…” (38). Mais les suites étaient encore à venir.

Deux homélies sur la fraternité

Cathédrale d’Istamboul, début de la guerre; Mgr Roncalli prie ainsi: “Nous nous adressons à Vous, Seigneur, pour tous ceux qui vivent sous ce ciel, quelle que soit la race à laquelle ils appartiennent, puisque nous sommes tous frères sans distinction de religion, de loi, de coutumes, de traditions ou de classe sociale” (1). Pentecôte 1944, quelques mois avant son départ pour Istamboul, dans une autre homélie, Roncalli fait ses adieux tandis que la guerre arrive à sa fin. «Embrassant du regard l’assemblée bariolée, et composite qui remplit la Cathédrale, Roncalli poursuit et insiste: nous pouvons tous trouver les meilleures raisons pour souligner les différences de race, de culture, de religion ou d’éducation. Les catholiques, en particulier, aiment se distinguer des « autres »: “frères orthodoxes, protestants, juifs, musulmans, croyants ou non croyants des autres religions”. Cette liste reflète très bien la réalité à Istamboul. Donc: “Chers frères, chers enfants, je dois vous dire qu’à la lumière de l’Evangile et du principe catholique, cette logique est fausse. Jésus est venu abattre ces barrières; il est mort afin de proclamer la fraternité universelle; le point central de son enseignement est la charité, c’est-à-dire l’amour qui lie tous les hommes à Lui-même en tant que premier frère et qui Le lie avec nous au Père” (Righi, p. 259)» (39).
Un fil unique relie l’homélie de 1940 à celle de 1944 et au discours au rabbin Friedman de 1960, discours déjà cité et commenté. “Abattre les barrières” (“abattre les bastions” dirait Von Balthazar): c’est ce que fait le Christ lorsqu’il détruit les fausses religions pour en convertir les membres à la Sienne propre. Mais l’homélie de Roncalli présume les barrières confessionnelles encore existantes dépassées « par l’amour ». “L’amour” (qu’on suppose ici sans la Foi, puisqu’il est parlé de « croyants » [et même de non croyants] de toutes sortes) unirait tous les hommes au Christ, premier frère, et au Père. Comme nous l’avons vu, cela est faux. Pour être fils adoptif du Père et frère de Jésus-Christ il faut et la Foi et la Grâce sanctifiante. Un »non croyant » n’a ni l’une ni l’autre; les membres des religions non catholiques non plus (sauf cas d’ignorance invincible connue seulement de Dieu et que l’on ne peut présumer).
La “fraternité universelle entre les hommes” est seulement potentielle; pour Roncalli elle existerait déjà en acte. L’homélie «plus « visionnaire » ou « utopique » prononcée par Roncalli à Istamboul» (Hebblethwaite) (39) ne fait pas une description catholique mais maçonnique de la fraternité, fraternité sans “distinction de religion”.
Le 6 décembre 1944 Mgr. Roncalli est nommé nonce en France. Nous nous posons la question une fois de plus: Mgr. Roncalli était-il (encore) catholique à cette date?

à suivre …


APPENDICE

Dans le numéro précédent, à l’occasion de la période « bulgare » de la vie de Mgr. Roncalli, j’ai parlé de son ami Stefano Karadgiov, dont il retardait la conversion au catholicisme afin de ne pas faire de prosélytisme et de ne pas nuire ainsi à l’oecuménisme (n° 25 p. 16-17). Plus tard le même Karadgiov a donné ce témoignage: “J’ai connu des prêtres catholiques qui se refusaient à entrer dans une église orthodoxe même en tant que touristes. Mgr. Roncalli, au contraire, participait toujours aux offices orthodoxes, suscitant en quelques catholiques étonnement et perplexité. Jamais il ne manquait aux grandes cérémonies qui se célébraient dans la principale église orthodoxe de Sofia. Il se mettait dans un coin et suivait dévotement les rites. Les chants orthodoxes surtout lui plaisaient” (Renzo Allegri. “Il Papa che ha cambiato il mondo. Testimonianze sulla vita privata di Giovanni XXIII”. Luigi Reverdito Editeur. Gardolo di Trento.1988 p. 66). « Etonnement et perplexité » c’est peu dire puisqu’il est statué par le Code de droit canon: “Il n’est pas licite aux fidèles d’assister ou de prendre part activement de quelque façon que ce soit, aux offices des non-catholiques” (can. 1258. §1).
“Celui qui spontanément ou sciemment favorise l’hérésie de quelque façon que ce soit, ou assiste aux offices des hérétiques [communicat in divinis] à l’encontre de ce qui est prescrit au canon 1258, est suspect d’hérésie” (can. 2316). Un Délégué apostolique suspect d’hérésie: il y a de quoi laisser perplexe un catholique !


Notes :
  1. Padre Tanzella. “Papa Giovanni”, edizioni Dehoniane,1973 p. 140.
  2. Sur leur amitié, voir Sodalitium n° 24 p.15.
  3. Hebblethwaite p. 197.
  4. Hebblethwaite p. 195-196.
  5. Citées par Hebblethwaite p. 181-184-188.
  6. Hebblethwaite p. 214
  7. Voir Sodalitium n° 24 p. 15.
  8. “Mon caractère, enclin à la condescendance plutôt qu’à la critique et au jugement téméraire, à prendre immédiatement le bon côté des personnes et des choses… est assez fréquemment pour moi l’occasion de me trouver dans une situation d’opposition affligeante avec le milieu qui m’entoure. Toute forme de méfiance… toute rupture… sont pour moi cause de tristesse et d’intime souffrance ”. Giornale dell’Anima p. 304-306.
  9. Par exemple: “Les murmures ne manquent pas autour de moi: ad majora ad majora” (Diario 12-18 nov. 1939 G.d.A. 5ème ed. 1967 p. 259). “J’ai trouvé un accueil extrêmement bienveillant et encourageant à Rome, auprès du Saint Père, de la Secrétairerie d’Etat et de la Congrégation orientale ” (ibidem p. 263). “Je laisse à tous la surabondance de la fourberie et de ladite adresse diplomatique et je continue à me contenter de ma bonhomie et de ma simplicité de sentiment, de parole, de manière d’agir” (Diario 8-13 déc 1947 p. 302). “Quelques-uns suivent ma pauvre personne avec admiration, avec sympathie; mais, grâce à Dieu, je rougis de moi-même, de mes insuffisances… Depuis longtemps, et sans aucune lassitude je fais profession de simplicité…”(ibidem 6-9 avr. 1950 p. 309). “Etre simple, sans prétention aucune, ne me coûte rien” (ibidem 6-12 avr. 1952 p. 312). “Me maintenir humble et modeste ne me coûte pas grand-chose et correspond à mon tempérament natif ” (ibidem 15-21 mai 1953 p. 315). “La conviction se répand que j’aurai été un Pape de transition provisoire. Me voici au contraire à la veille déjà de ma quatrième année de pontificat, et j’entrevois un solide programme à réaliser à la face du monde entier qui regarde et attend” (ibidem 10 août 1961 p. 333)…
  10. Extrait des « Litanies de l’humilité » que récitait quotidiennement le Card. Merry del Val.
  11. Hebblethwaite p. 192
  12. Hebblethwaite p. 210
  13. Hebblethwaite p. 212
  14. Hebblethwaite p. 210
  15. La Nuova Enciclopedia Universale Garzanti 1982-1985 p. 1302 rubrique Sionisme.
  16. Déclaration d’indépendance de l’Etat d’Israël 15/05/1948. Dans “Quello che c’è da sapere prima di giudicare Israele. Passato e futuro” Furio Colombo. La Biblioteca di Europeo. Supplément à Europeo n° 13, mars 1991, Rizzoli Periodici, p. 19
  17. L’erreur de cette idée ne consiste pas à affirmer que Jésus est le roi temporel d’Israël et du monde entier (cf. Sodalitium n° 21 p. 41), ce qui est vrai; elle consiste à croire qu’il aurait voulu exercer personnellement et avec des moyens humains cette royauté (secondaire par rapport à la royauté spirituelle) dont la fin serait en outre la domination des Juifs sur les autres peuples.
  18. Enc. Treccani, vol. 31 p. 864 rubrique Sionismo. L’Encyclopédie Treccani date de 1936, pourtant l’auteur de cette rubrique, Artom, est favorable au sionisme…
  19. Nuova Enciclopedia Universale Garzanti, cit. p. 672, rubrique Hess Moses.
  20. Jacques Bordiot. “Le pouvoir occulte fourrier du communisme”. Ed. de Chiré, Diffusion de la Pensée française, 1976 p.119-131.
  21. Enc. catholique vol. XI, col. 714-715, rubrique Sionisme.
    bis : Igor Man, “Quell’Amarcord a Gerusalemme tra spettri del passato e del futuro”, sur « La Stampa », 12/5/1991. Pour les rapports entre Sionisme et psychanalyse freudienne, voir l’article de Paul Johnson dans « Il Giornale », 15/4/1991, p. 5.
  22. Furio Colombo (rédacteur) “Quello che c’è da sapere prima de giudicare Israele. Passato e futuro”. Op. cit. p. 38-39.
  23. Enc. catholique, cit., col. 716. Des troupes de juifs palestiniens (la légion juive en 1917) combattirent aux côtés des Anglais tant dans la première que dans la seconde guerre mondiale. Le 28 mai 1945 ce fut la brigade palestinienne des Juifs russes, « Juda la vindicative », qui livra aux soviétiques, dans le village de Judensburg les prisonniers de l’Armée cosaque arrêtés par les Anglais (cette armée cosaque, commandée par le Gén. Krasnoff était anti-communiste). Il est facile d’imaginer ce qu’il advint des cosaques et de leurs familles tombés entre les mains de Staline…(cfr. “L’armata cosacca tradita. E Londra li consegno al boia”. John Bookmaker dans la « Gazzetta Ticinese 5/3/1991 p.14-15. Recension du livre de Pier Arrigo Carnier. “L’Armata cosacca in Italia”, 1944-45, Ed. Mursia).
  24. Mario Barone: «Yitzhak, « l’irriducibile »». Gazzetta Ticinese 15/3/1991 p. 9.
  25. Joseph Colombo, rubrique: Herzl Théodore, dans l' »Encyclopédie Treccani », vol. XVIII, p. 483.
  26. Sodalitium n° 24 p.13. En dépit des fautes d’impression habituelles, le texte est lisible!
  27. Article sur « Repubblica » du 19/2/1991, repris par Furio Colombo dans « Quello che c’è da sapere… » op. cit. p.120. A propos de l’attitude de Vatican II, Levi écrit: “L’Eglise [conciliaire n.d.r.] a dû faire un effort titanesque pour changer une théorie vieille de plusieurs siècles [vingt, pour être précis!] mais, quoiqu’avec certaines hésitations, ELLE L’A FAIT” (ibidem).
  28. M. Invernizzi e O. Sanguinetti, rédacteurs,: “I Papi del nostro secolo”, I parte, p. 53, Italia Libri 1991.
  29. Cf., par ex., « Il Sabato », n° 13 du 30/3/1991, p. 36-40.
  30. Hebblethwaite, p. 210-212. Les citations des documents officiels sont tirées de “Actes et Documents du St. Siège” Libreria Ed. Vaticana, 11 volumes.
  31. Le rabbin Herzog écrivit entre autres (lettre du 28/02/1944): “Vous vous placez dans la tradition si profondément humanitaire du Saint Siège et vous partagez les nobles sentiments de son coeur. Le peuple d’Israël n’oubliera jamais l’aide apportée à ses malheureux frères et soeurs par le Saint-Siège et par ses plus hauts représentants en cette triste époque de notre histoire”. (Actes et Documents, vol. 10 p. 161). A confronter avec la déclaration du rabbin Hertzberg déjà rapportée dans notre précédent numéro: “Aucune association juive n’est disposée à pardonner l’Holocauste à l’Eglise; cela parait clair” (La Stampa 12/02/1991 et F. Colombo, op. cit., p.125). De Herzog à Hertzberg, voilà achevée « l’éternelle gratitude » envers le Saint-Siège!!
  32. Hebblethwaite op. cit. p. 216-217
  33. Cf. Isaïe XXIX, 13; Mathieu XV, 1-14.
    Dr A. Cohen. “Il Talmud”. Ed. Laterza 1935 réimprimé en 1939 p.186, Abbé Auguste Rohling. “Le Juif Talmudiste”. Réimprimé en 1888 par l’Abbé Maximilien de Lamarque.
  34. Discours à la Curie Romaine sur la rencontre d’Assise 22-/12/1986 cf. Sodalitium n° 15 p. 6.
  35. Il existe en effet une lettre de Mgr Roncalli, datée du 4 septembre 1943 et envoyée au Secrétaire d’Etat le Card. Maglione, dans laquelle les positions décrites par Hebblethwaite et rapportées par moi s’inversent: c’est alors le Saint-Siège qui favorise l’embarquement pour la Palestine des juifs italiens fugitifs, et c’est Mgr Roncalli qui proteste en écrivant: “Je le confesse, une chose suscite en mon esprit une certaine perplexité: à savoir que le Saint-Siège lui-même achemine les Juifs vers la Palestine, les faisant sortir d’Italie; ce qui revient en quelque sorte à participer à la reconstruction du royaume juif. Que ce soit leurs compatriotes et amis politiques qui le fassent, cela se comprend. Mais il ne me parait pas de bon goût que la charité simple et sublime du Saint-Siège puisse ainsi laisser croire, même si ce n’est qu’une apparence, qu’elle coopère, au moins initialement et indirectement, à la réalisation du rêve messianique. Mais peut-être n’est-ce là qu’un scrupule personnel qu’il suffit d’avoir confessé pour le voir se dissiper, tant il est certain que la reconstruction du royaume de Juda et d’Israël n’est qu’une utopie” (Actes et Documents, 9, p. 469).
    A part les maigres dons prophétiques de Mgr Roncalli (il manque cinq années pour que se réalise “l’utopie”) ce texte réaffirme clairement l’objection fondamentale – théologique – à l’état d’Israël; en cela, ces paroles de Mgr Roncalli, auxquelles je ne peux que souscrire, se rapprochent davantage de celles de Saint Pie X que de celles de Pie XII, plus voilées. Comment alors les concilier avec ce qui a été dit auparavant? “La pratique de Roncalli est certainement meilleure [pour Hebblethwaite, pire pour nous n.d.a.] que sa théologie” (Hebblethwaite p. 216). Et en dépit de ce qu’il a écrit “il continue à aider les Juifs à partir pour la Palestine” (ibidem) et il continue à utiliser les certificats d’émigration délivrés par l’Agence juive de Palestine (ibidem, p. 275-277). Par pure charité, dirait-on, à la lumière de la lettre à la Secrétairerie d’Etat du 4/09/1943. Par un esprit moins orthodoxe de service vis à vis des « frères d’Israël », selon la lettre à l’Agence juive du 23/03/1944. Peut-on conjecturer une évolution, en quelques mois, de la pensée roncallienne? Deus scit.
  36. Hebblethwaite op. cit. p. 208
  37. Hebblethwaite op. cit. p. 208
  38. Hebblethwaite op. cit. p. 209
  39. Hebblethwaite op. cit. p. 221